TERRE VIVANTE, DES RACINES AUX ÉTOILES, exposition de Valérie Crenleux à la galerie d’art contemporain de Créteil

Valérie Crenleux s’intéresse à la fois au sol, au processus de croissance et aux interdépendances entre les êtres de différents règnes, minéral, humain et végétal. Son émerveillement pour les racines et les matières naturelles qu’elle prélève et cultive se complète de questionnements et de recherches autour du vivant. Une diversité de sciences, botanique, pédologie, géologie, astronomie, nourrit sa réflexion et l’inspire à rendre visibles des phénomènes naturels.

A partir de racines qu’elle cultive, tresse et entrelace, elle crée des formes circulaires, en écho aux symboles du cercle tels que l’origine du monde et le cosmos. Elle observe le processus cyclique des matières vivantes qu’elle emploie et se laisse parfois surprendre par leurs transformations en fonction des conditions atmosphériques ou des lieux d’exposition. L’artiste prend également soin de conserver ses récoltes de fragments naturels recueillis lors de marches en forêt et en montagne.

Pour cette exposition, Valérie Crenleux propose plusieurs rencontres sensorielles avec des matières naturelles suggérant différentes périodes géologiques : d’abord un paysage aérien nous reliant au cosmos puis, peu à peu les strates des profondeurs du sol se donnent à voir. Face à son installation L’interconnectivité de l ’univers, constituée de cercles racinaires, nous approchons les racines au plus près et pouvons ressentir leur odeur : une sensation qui peut rappeler des souvenirs de promenades, de cueillettes, des relations de proximité avec la terre. Ses compositions racinaires sont maintenues dans un état en suspens qui leur confère une sorte d’éternité. Un paléosol récolté lors d’une visite d’un site archéologique témoigne d’un temps ancien et d’une érosion qui s’accélère.

Plus loin, sa nouvelle série d’œuvres Au bout des racines, il était un arbre donne à voir des arbres miniatures qui ont germé à partir de racines. Insérés dans des cadres modelés en argile de différentes teintes, ces êtres miniatures portent en eux l’origine de la vie. Ils suggèrent également un sol qui progressivement s’enrichit. Une certaine fragilité et préciosité en émanent. Nous pouvons alors considérer les spécificités de chaque sol et prêter attention à la diversité de végétaux qui peuvent y croître.

L’artiste observe également avec humilité le comportement d’êtres vivants et prend soin de préserver les formes qu’ils dessinent. La série L’éternité s’est dépliée nous amène à observer des éléments vivants en suspens, rencontres entre un blob, physarum polycephalum et des racines délicatement présentées sur un velours noir dans un cadre doré. Les réseaux suscitent à la fois l’émerveillement et la curiosité.

L’exposition se vit comme une exploration à la rencontre d’une multitude de matières qui portent en elles la mémoire des sols. Chaque particule est donnée à voir telle quelle pour sa colorimétrie et sa texture. En ce sens, la démarche de l’artiste se rapproche de celle de Wolfgang Laib et de Koichi Kurita, pour lesquels la collecte et les récoltes font partie de leur rythme de création au quotidien.

L’installation Un vent venu d’ailleurs invite à contempler un ensemble de bâtons de différentes essences de bois sculpté et orné installés en cercle. Chacun est réalisé à partir d’une réflexion sur les strates et teintes des cernes du bois. L’artiste s’est aussi inspirée de schémas et d’études géologiques. Des racines relient les surfaces écorcées et la feuille d’or suggère une réparation, une métamorphose en cours. Ces bois sont enracinés dans des blocs de granit de différentes couleurs d’argile qui a durci à l’air, dont l’aspect de pierre rappelle les changements d’états des sols, notamment l’asséchement de l’eau. Ils évoquent à la fois des carottes géologiques et des supports pour soutenir la croissance du vivant. On songe au rituel du bâton de parole des peuples amérindiens, qui invite à l’écoute, au respect et à vivre pleinement le moment partagé. Une surface de matières naturelles montre des strates de sol. En son centre, elle y a déposé des racines, du bois puis des couches colorées de terre volcanique dont le dégradé de couleurs progresse jusqu’à la partie visible de la terre. Cette composition révèle un rhizome et suggère un jeu visuel entre intérieur et extérieur, visible et invisible. Les teintes de coloris de terre font également écho à celles des paysages de grottes ou de carrières.

Plus loin, l’installation photographique Per fumum, à travers la fumée attire le regard : des présences végétales intriguent et invitent à un moment de méditation face à des entrelacements de racines avec d’autres corps et matières. Sur des assiettes d’argile aux motifs floraux imprimés, sont déposés des éléments : du sable volcanique noir, des bâtons de Paolo Santo, de la sauge et des variétés de résines d’arbres directement prélevées ou bien extraites des sols de plusieurs continents. Ceux-ci renvoient à des transformations résiduelles issues d’un phénomène géologique.Ces particules annoncent le renouveau, la fertilité des terres, où des végétaux pourront à nouveau germer. On peut également penser à un rituel de purification pour raviver un possible ailleurs et s’ouvrir à un espace inconnu et invisible.

Valérie Crenleux donne à voir une variété de matériaux bruts caractéristiques de différents sols, où la vie est encore présente et dont il convient de veiller à sa préservation. Par les gestes de soins et de couture, elle tend à préserver des relations qui façonnent toute existence. Des éléments issus des profondeurs de la terre se répondent à l’image des interconnexions présentes à toutes les échelles. Les énergies du vivant circulent d’œuvres en œuvres. D’où une possible prise de conscience de faire partie d’un tout.

Ainsi, en montrant un échantillonnage de matières qui constituent le sol, l’artiste nous engage à appréhender différents paysages et phénomènes naturels.

Pauline Lisowski