Fabrice Cazenave tente de voir au-delà de ce qui se présente à lui. L’immersion dans les lieux de nature l’invite à être réceptif aux diverses sensations qu’il restitue ensuite dans ses œuvres sur papier. En dessinant les yeux fermés, en pleine conscience, il transmet l’énergie qu’il reçoit au contact des éléments naturels. Il fait confiance à ce qu’il ressent par son corps, écoute les sons de la forêt, prend le temps d’éprouver le site et d’accueillir les sensations procurées par la présence de végétaux.
Chaque temps passé à l’extérieur est inscrit dans ses carnets de dessins où il témoigne par des signes, des tracés et des formes, ce qu’il a perçu. Même s’ils paraissent relever d’une écriture automatique, ses dessins sont en fait les fruits d’une attention fine au monde et à l’écoute de son intérieur.
Au fur et à mesure de ses expériences, il décide de créer ses propres fusains à partir d’essences d’arbres différents. Cet outil est spécifique à l’espèce qu’il dessine. Ce processus de travail convoque le cycle du végétal et suggère la résurgence de la vie des plantes.
Un déplacement et un balancement se révèlent dans les dessins au fusain de cet ancien danseur. L’artiste capte ce qui apparaît en lui et transcrit ses émotions le plus précisément possible. Les végétaux surgissent dans ses œuvres sur papier, comme des êtres vivants doués de proprioception, capables de réagir au vent et autres conditions climatiques.
À partir de la pyrolise du bois, il réalise également des herbiers de plantes fossilisées. Ses œuvres constituent la mémoire des espaces parcourus. Les œuvres de Fabrice Cazenave nous incitent à une plus grande acuité, à mettre nos sens en action, en éveil. Plus ceux-ci sont ouverts, plus d’autres réalités s’offrent à nous.
En résidence au musée Picasso d’Antibes, l’artiste fut attentif aux différents végétaux qui habitent les milieux à la fois urbains et plus sauvages de la région. Il a exploré trois écosystèmes différents et a découvert des espèces à la fois exotiques et d’autres endémiques. Fabrice Cazenave s’est intéressé à la résistance des plantes endémiques qui s’accrochent et poussent sur les roches. Il a pris soin de dessiner des plantes originaires du territoire suite à ses observations lors de promenades avec un botaniste et une archéologue. Ses œuvres sur papier au graphite s’approchent à la fois de l’art du dessin botanique et montrent le végétal dans son environnement. Son ensemble de fusains de ces espèces, posés en ligne sur une tablette, s’apparente à un herbier en écho à ses dessins.
Dans ses grands formats réalisés au fusain The garden of shadows, les plantes apparaissent monumentales, en réserve de blanc, tels des fantômes d’espèces qui resurgissent et laissent la place à ce qui peut ensuite advenir. Ses œuvres sur papier révèlent des plantes importées, qui se sont adaptées au milieu. Représentées à l’échelle 1, elles nous amènent à imaginer un monde étrange où des végétaux exotiques prennent de l’ampleur et habitent les jardins urbains des villes de côte d’Azur.
Ses sculptures composées de plantes carbonisées et d’objets de rebus, de laisses de mer, s’apparentent à des natures mortes, témoins d’un milieu marqué par l’anthropisation. Ses œuvres évoquent des plantes qui cohabitent avec les déchets chimiques. Elles manifestent l’apparition d’un nouvel écosystème typique d’une nouvelle ère. Ces espèces luttent pour leur survie parmi d’autres importées pour être acclimatées. Posées chacune sur un miroir horizontal, elles rappellent également l’étendue de la mer et l’horizon qui se déploie à perte de vue. Au sol, Chimical flower est composée d’un ensemble de fleurs en fusain et d’argile noire, comme échouées dans une antenne parabolique rouillée. En dessin, ces compositions d’éléments apparaissent d’autant plus comme des bouquets, témoins de notre ère anthropocène et des traces que nous laissons sur les espaces naturels.
Dans le bois de la Garoupe, l’artiste a réalisé des dessins les yeux fermés. Ses œuvres sur papier qu’il nomme Herbier témoignent de la vie de la plante, de ses mouvements, quasi imperceptibles. En entrant en relation avec les végétaux, il rend visible leurs interactions. Ses dessins sur papier montrent des fantômes de végétaux, qu’on reconnait plus ou moins, en mouvement. Leur allure reste en mémoire. La lumière fait jaillir le végétal qui apparait et disparait. La plante intranquille, était, est, sera toujours là, telle est la pensée qui émerge de ses dessins.
Son exposition propose une déambulation à la découverte des espèces qui poussent dans différents habitats et surgissent telles des résistantes et dont il faut prendre soin. L’artiste nous invite à prendre différentes postures face aux plantes, certaines nous dépassant, d’autres nécessitant une attention fine et une observation de près. Il explore différentes représentations du végétal, du dessin au trait, tel qu’on en trouve dans les livres de botanique, au dessin plus expressif où le sujet émerge dans une réserve de blanc en passant par un travail réalisé les yeux fermés.
Des questions liées à l’archéologie, à la botanique, à l’écologie et au devenir d’un milieu sont au cœur de cette exposition. Fabrice Cazenave s’engage dans la préservation de l’environnement et a conçu son travail artistique en résidence dans un profond respect du vivant en prêtant attention à une économie de matériaux. Les fusains seront ensuite rendus à la nature et poursuivront un nouveau cycle de vie. Ainsi, l’artiste tend à nous faire prendre conscience des espèces qui cohabitent ensemble dans des sites naturels et nous incitent à y prendre soin. Ses œuvres témoignent des connexions que nos corps peuvent avoir avec le vivant végétal.
Pauline Lisowski
Texte écrit à l’occasion de l’exposition Antipolis, musée Picasso d’Antibes, espaces Les Arcades, Antibes.