La forêt est un espace où se cacher, se perdre et prendre plaisir à aller vers l’inconnu. Les peintures de Bruno Gadenne nous transportent dans ces lieux mystérieux. Elles nécessitent le temps d’une promenade du regard. Chacune propose une traversée, une quête d’une nature dans laquelle fuir et se ressourcer. Celles-ci sont baignées d’une étrange lumière, telles les nuits américaines du cinéma. Ses paysages semblent aussi bien hors du temps et invitent à imaginer la suite du voyage.
Pour son exposition, il réunit plusieurs séries de toiles, réalisées à la suite de différentes expéditions dans des contrées éloignées. Des éclats lumineux guident le visiteur dans un parcours, incité à créer des liens et à s’enforester au fur et à mesure dans la peinture. La forêt se révèle être un milieu qui nous enveloppe, où vivre des sensations fortes.
Dans ces paysages, la présence de l’eau conduit vers le lointain. Puis, un élément, rocher, végétal se découvre tel un trésor. Ces peintures amènent à s’arrêter pour percevoir la densité de végétations à travers laquelle des lueurs, quasi cinématographiques apparaissent.
Air terjun emas, (La cascade d’or) présente une forme étrange. Entre détachement et recouvrement, cette présence appelle à la fois au merveilleux et au danger. La percée convoque également la découverte d’un élément naturel, telle une surprise, un secret qui se dévoile aux yeux des plus aventureux et attentifs.
Puis, La percée s’ouvre vers un végétal, totem, qui surgit et diffuse une lumière éclatante. Sommes-nous arrivés au bout, dans une clairière ? Espace ouvert et pourtant englobant, cette peinture incarne le mystère et le trouble.
Dans ses peintures de Grottes se retrouve cette ambiguïté entre un lieu protecteur et un espace d’une puissance qui nous repousse. Peut-on y entrer ? Que renferme-t-il ? Ce refuge aurait traversé le temps et serait intemporel.
Avec La porte, une peinture plongée dans une atmosphère bleutée, se révèle également la possibilité ou pas d’atteindre son but, de passer à travers. Cette œuvre incarne plusieurs temporalités, une ruine d’architecture et une nature qui croît et reprend ses droits sur les constructions.
Dans certaines de ses peintures des corps apparaissent tels des statues ou des rochers. Des lutteurs font écho à des scènes de l’histoire de l’art. Adam, une peinture qui inspire à un récit d’un homme qui avance vers l’inconnu, dans un flux de couleurs. Cette œuvre suggère un retour à la nature à la quête d’un paradis, une Arcadie.
Ses petites toiles relèvent d’une plus grande gestuelle et renvoient au saisissement d’un instant, perception d’un milieu riche en végétations en croissance.
Les peintures de Bruno Gadenne convoquent le désir d’aller plus loin, vers les profondeurs de ces espaces denses et enveloppant. Elles engagent un déplacement, une attention, une concentration et se laissent découvrir après l’expérience d’une entrée par les couleurs.
Ainsi, d’une toile à une autre, le regard parcourt ces paysages d’une nature luxuriante, y pénètre pour y saisir les secrets qu’ils contiennent. Ces éléments cachés seraient-il une menace ou une trace, un emblème de ces lieux ? D’une vue d’une végétation exotique qui attire à des ouvertures vers des clairières et des espaces plus ouverts, ces peintures renvoient aux différentes postures et sensations que l’on a en forêt. Cet ensemble de toiles convoque aussi bien la sensation du plaisir à explorer ces espaces riches en diversité végétales et où des surprises visuelles surgissent, qu’un malaise qui émerge par moment. Bruno Gadenne révèle une possible forêt, celle de rêves ou d’histoires qui traversent les pays et les époques.
Pauline Lisowski
Texte écrit pour l’exposition S’enforester de Bruno Gadenne, Galerie Agnès B, 2 AVRIL — 3 MAI 2019