Où vont les petites robes ? exposition de Sylvie De Biasi

Allons rencontrer ces petites robes, témoins d’une enfance en relation avec la terre, au jardin, dans les champs, dans des milieux où ressentir profondément de multiples sensations au contact avec la nature, où prêter attention à chaque être vivant : des gestes, des savoir-faire, des moments fondateurs qui s’imprègnent en notre mémoire, en notre corps… des instants de vie durant lesquels éprouver de la joie, du plaisir à se laisser porter par les odeurs et les sons de la nature.

Au sol, une marelle dessinée à la craie, nous accueille, attire notre regard et nous rappelle à nos jeux insouciants dans les cours d’école, ceux que nous pouvions réaliser à partir de peu d’éléments, bien souvent prélevés dans la nature. Des ballons attachés à des pierres nous ouvrent un chemin vers le monde insouciant de l’enfance.

Au-dessus de brassées de foin qui activent des réminiscences de moments passés dans les champs, une série de cyanotypes relevés à l’aquarelle où sont entrelacés des croquis de petites filles réalisés d’après des photographies confiées à l’artiste, mêlés à des végétaux, nous ouvrent les portes de mondes merveilleux. Dans ces univers enchanteurs, telles des petites fées, les petites filles semblent côtoyer les corps des plantes, d’insectes ou d’oiseaux. Face à ces réalisations, nous pouvons songer à des moments de rêverie passés parmi les fleurs, des jeux dans la nature, où se cacher, se fondre, se perdre dans les hautes herbes, les graminées et autres plantes aux odeurs délicates… Les variations de bleu intense de ces créations conduisent notre regard à s’évader, à rêver à des lieux enchanteurs, ceux des contes de fées dont la lecture nous a bercés enfants. Ainsi la pratique du dessin amène l’artiste à revivre des émotions fortes, à réactiver des évènements, étapes de la vie. Elle choisit alors de présenter ces cyanotypes dans des cadres profonds afin que l’expérience de découverte progressive réactive les souvenirs : des promenades dans les champs, des cueillettes, des bouquets de fleurs des champs, jolis présents, signes de l’affection que l’on porte à un être aimé.

Dans le chœur de la chapelle, des robes de petites filles acquièrent une vie autre, quelque peu étrange, agrémentées d’une inflorescence d’hortensias séchés. Suspendues, ces étranges présences qui se tiennent par la main, nous relient à des souvenirs de récoltes, de cueillettes, de conservation de bouquets de fleurs séchées, témoins de moments d’observation du monde végétal. Cette installation émane d’une arborescence de rencontres humaines, de partages d’histoires, de prêts d’objets ayant vécu, de dons d’hortensias délicatement préservés pour la beauté de leur inflorescence. Sylvie De Biasi entrelace ces récits de vie et d’autres souvenirs peuvent alors émerger chez tout un chacun. Ces robes fleuries ne gardent-elles pas les traces de ces petites filles qui se sont prises au jeu de se sentir fées ou princesses pendant un moment ? Pourquoi garder ces vêtements d’enfant comme objets précieux ? Que signifient-ils pour nous ? Ne permettent-ils pas d’activer les relations avec des personnes qui nous sont chères ? Telles sont les questions qui peuvent surgir en cheminant dans la chapelle.

Une bande son nous replonge dans la douce période des fillettes durant laquelle les chants et les danses rythmaient les relations entre filles et garçons, dans les cours d’école et les fêtes de village.

Des cyanotypes à l’installation, les fleurs circulent ainsi de robes en robes, symboles du féminin, du printemps, du cycle de la vie. Entrons dans cette danse des petites filles, retrouvons ensemble notre âme d’enfant et reconnectons-nous à des gestes transmis qui forgent nos capacités d’agir et nous renforcent tout au long des âges de la vie. Des histoires familiales, des après-midis passés à observer les plantes, les herbes folles, à jouer, à percevoir les variations de lumière du soleil resurgissent tels des espaces-temps qui nous procurent des sensations de douceur au quotidien.

Ainsi, les différents travaux de Sylvie De Biasi créent une atmosphère où les fleurs circulent du papier au vêtement et nous amènent à cheminer tel un papillon qui butine. Nous sommes entraînés dans cette danse des fleurs et des souvenirs surgissent : une expérience permettant de s’extraire pendant quelques instants des contraintes du quotidien. Et si, comme ces petites filles, nous prenions le temps de cultiver notre curiosité face à toutes les petites merveilles du monde vivant… Cette exposition convoque autant les souvenirs de l’enfance que ceux passés à se promener dans les champs…

Pauline Lisowski

Critique d’art, membre de l’AICA