Approcher une rivière, la considérer comme un milieu naturel à respecter, avec lequel dialoguer, telle est l’attitude artistique de Jo Lewis. Ses intuitions et ses souvenirs de son enfance passée au bord d’un canal dans la campagne de Grande-Bretagne l’amènent petit à petit à entrer en relation avec des cours d’eau, ses refuges où elle retrouve une part d’elle-même. Au bord d’une rivière qui se jette vers la Tamise et auprès de La Durenque et de l’Agoût dans le Tarn, l’artiste a pris le temps de les fréquenter, d’entrer en relation avec l’eau, à l’écoute de son comportement, accueillant toutes sortes de sensations qui s’offraient à elle. Au fur et à mesure, elle s’est laissée guider par ces rivières avec lesquelles elle converse, dans une compréhension mutuelle.
Pleinement imprégnée par ces moments de doux dialogues, ses œuvres sur papier incarnent ces expériences à la fois de l’ordre de l’intime et du jeu. Elles révèlent une tension entre mouvement et stabilité, entre vide et plein. Le processus artistique de Jo Lewis est comparable à une chorégraphie. Sa technique implique une concentration telle qu’elle lui permet de prendre conscience de son propre corps. L’eau prend sa place sur le support, l’encre et l’aquarelle réagissent avec et créent des formes fluides qui se superposent, en transparence, telle l’expression de l’énergie des rivières. Toute la subtilité de son travail artistique se révèle au travers de cette danse des couleurs. Chacune de ses œuvres montre des variations de lumière et d’intensité colorées de ces cours d’eau selon le moment de la journée. Chaque titre renvoie à l’espace-temps de l’interaction entre corps humain et corps d’eau : une émotion, un bonheur, comme si l’artiste se confiait à cet élément naturel en perpétuel changement.
Si son atelier est la rivière, désormais Jo Lewis retrouve dans son studio londonien le lien avec l’eau en faisant confiance à la mémoire de son propre corps. Son approche artistique pourrait nous inspirer une manière de vivre en harmonie avec ce milieu vivant, dont il convient de préserver l’écosystème.
L’accrochage de ses travaux sur papier de différentes tailles, en constellation, en rythme et sur différentes hauteurs, fait écho aux variations de niveaux des rivières. Notre regard chemine face à ses encres et aquarelles colorées dessinant des ondulations. Certaines sont d’une telle blancheur lumineuse qu’elles renvoient au reflet d’un rayon de soleil, si puissant qu’il nous éblouirait presque. Parmi celles-ci, ses livres en leporello présentent eux-mêmes une circulation, à l’image du tracé des flux de ces cours d’eau. Jo Lewis les a composés à partir de plusieurs découpes de ses œuvres, créant ainsi un nouvel horizon.
À nous de regarder de près chaque œuvre, puis de laisser poser notre regard sur le blanc du mur… de reprendre ensuite notre souffle pour nous ouvrir à une autre proposition colorée, témoin des flux et de la lumière que l’artiste a captés.
Pauline Lisowski
Critique d’art, membre de l’AICA
Texte écrit pour l’exposition Espace fluide de Jo Lewis à la galerie Valérie Eymeric, Lyon en septembre 2025