Alexis Berar

Enquêter, glaner et inventer des récits de micro-géographie

La pratique photographique d’Alexis Berar relève à la fois d’une enquête géographique, anthropologique sur les territoires de montagne et de l’invention de récits. Son expérience du pastoralisme l’a mené vers une attention aiguisée au paysage et à l’appréhender avec respect. L’artiste prend le temps d’aborder les lieux qu’il fréquente, et ceux qui les habitent en laissant la place au hasard des rencontres. Il s’attache à révéler les éléments qu’on ne voit pas au premier regard, des indices de présences humaines et animales, porteurs d’une histoire. Il s’approprie les codes de la photographie documentaire et tend vers des recherches plastiques permettant une autre lecture du paysage (série Circonférences sensibles). De fait, il se positionne à la fois dans un rapport de proximité et de distance avec le sujet photographié. Ces constats d’occupations des lieux, associés à ses émotions face à la montagne qu’il vit au quotidien orientent ses choix plastiques.

Ses séries interrogent l’occupation des milieux montagnards, leur transformation et leur mémoire. Montagneland témoigne des usages, de la fréquentation des montagnes et des aménagements qui participent à leur attractivité. Sa série Petites cosmogonies montagnardes— Flainoz relève à la fois du documentaire et de la fiction. La topographie du terrain, les formes et l’architecture de Marcel Breuer l’ont conduit à toutes sortes de spéculations et de partis pris photographiques, en écho aux réalisations d’artistes de l’école du Bauhaus. Le choix de la photographie infrarouge crée alors ce pas de côté, décalant la réalité. L’image nous transporte dans un paysage fictionnel, proche de la science-fiction.

Dans ses séries Les Ailleurs, Petites cosmogonies montagnardes— Flainoz et l’erreur arpentée, les erreurs et défaillances numériques constituent également des heureux hasards à partir desquels des lieux indéfinis apparaissent, des images de rêves. Chacun peut y projeter son imaginaire, ses propres histoires et replonger dans des mythologies collectives.

Pour Alexis Berar, la montagne est le lieu d’un glanage de matières. Il observe les failles, les cavités, révèle des textures de roches et des relations charnelles avec des matières. Lors d’itinérances, il emprunte les méthodes d’investigation des archéologues tout en se mettant dans un état méditatif. Ses trouvailles lui inspirent des hypothèses et des possibles mythologies (série Piste, hors-piste, fausse piste). Au regard de ses photographies, les mots permettent de situer l’élément découvert, de le qualifier et de susciter des questionnements quant à son identification. Son attitude est proche d’une forme d’anthropologie active. En accompagnant les personnes en train de travailler sur le terrain, il se nourrit de leurs compétences et entretient une proximité avec son sujet. L’intuition du photographe croise les méthodes d’investigation des chercheurs qui l’accompagnent.

Lors de ses expositions, il associe ses images de façon à ce que le spectateur puisse tisser des liens entre des éléments et s’inventer sa propre histoire. L’agencement de ses séries photographiques laisse la place à des relations à la fois visuelles, spatiales et temporelles. On songe au déplacement de l’artiste, à ses arrêts contemplatifs et à ses suppositions. Ses récoltes d’éléments, minéraux, pierres, déchets, ossements, matières végétales séchées, telles des curiosités, témoins du temps et des usages, composent un fragment de paysage. Ces rencontres inattendues invitent également le visiteur à prendre différentes postures, à se positionner comme explorateur attentif à ce qui se trouve sur son passage. Celui-ci peut éprouver un sentiment d’émerveillement mêlé à un désenchantement, une prise de conscience des diverses traces des activités humaines qui altèrent la montagne. Cette pratique le situe dans la lignée de l’artiste marcheur Richard Long. A ces associations d’images s’ajoute aussi un lexique de mots à partir desquels il entretient un dialogue. Ces tentatives de définitions sensibles contribuent à ses interrogations au cours de ses prises de vue et l’amènent à se positionner vis-à-vis de sa présence sur le terrain.

Pour son projet photographique au long cours Roman de Romanche, il décide d’englober un territoire en associant plusieurs séries, chacune constituant une partie de celui-ci. Parmi ces ensembles, Les Montagnes Electriques, réalisées en photographie infrarouge (proche infrarouge / N.I.R) dite fausses couleurs, tendent à révéler l’évolution de la présence de la production hydo-électrique sur le territoire de l’Oisans. L’inventaire photographique témoigne des changements que subissent les paysages alpins, de leur mémoire et de leur valeur patrimoniale.  

Par ailleurs, Alexis Berar révèle les différentes relations que nous pouvons avoir avec les images et avec ce qu’elles peuvent dire des paysages de montagne. Sa méthode de travail est proche de celle des observatoires photographiques des paysages. Pour certains projets, il sollicite la participation d’habitants et les emmène à prendre conscience de l’évolution du territoire. Il soulève des questions quant à nos considérations pour les lieux qui gardent une mémoire des occupations des hommes à travers les époques. Ses projets photographiques questionnent les manières que nous avons de qualifier les territoires et de les considérer comme remarquables.

L’artiste témoigne des mutations des lieux dans lesquels il vit et qu’il scrute en étant ouvert aux investigations que chercheurs et habitants lui transmettent. Textes, récoltes, documents d’archives et photographies permettent de rendre compte de la diversité des usages, des points de vue et des questionnements relatifs à la montagne.

Ainsi, son travail artistique prend la forme d’une arborescence de séries photographiques ouvertes vers des ramifications et vers l’écriture d’une multitude de narrations.

Pauline Lisowski

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