Dans le cadre de leur projet « Les traces que nous laissons », Ava Fischbach et Axelle Labrousse ont passé du temps à écouter les histoires d’habitants de Vicq-sur-Breuilh et celles d’enfants du centre social de La Bastide, Limoges. Elles les ont questionnés sur leurs souvenirs et sur ce qu’ils souhaitaient laisser comme trace. Elles les ont abordés avec patience et précaution afin de gagner leur confiance. Ces questions apparaissent essentielles aujourd’hui, une période du tout dématérialisé et des grandes facilités à communiquer par d’autres moyens que par l’écrit. Leurs œuvres rendent compte des récits glanés tout au long de leur résidence et de leur découverte de deux territoires, l’un rural, l’autre urbain, portant les mêmes enjeux et dont leur image relève bien souvent de l’isolement, d’un manque d’accès à l’offre culturelle.
Les grandes peintures aux couleurs naturelles d’Ava Fischbach présentent des strates, des jeux de recouvrement, des éléments qui se devinent, donnant à lire un paysage de collines, d’alignement d’arbres, de maisons. On songe à un chemin perçu lors de déplacements, à des images gardées en mémoire, celles des différents chemins empruntés de Limoges à Vicq-sur-Breuilh. Ces peintures s’apparentent à des paysages mentaux qui contiennent en eux les souvenirs de sensations de lumière. D’autres paysages peints à l’huile émanent eux d’un autre temps de réalisation et sont semblables à des fenêtres, à des lieux cadrés pour contempler et méditer sur les traces que nous laissons dans les campagnes.
Les sculptures en porcelaine en forme de cube d’Axelle Labrousse, en équilibre, font écho à la fois aux architectures d’immeubles et aux pierres typiques des maisons du village de Vicq-sur-Breuilh. Sur certaines faces, des dessins et des typographies réalisés par des enfants, pyrogravés à l’encre bleu cobalt constituent des fragments de données invitant à s’imaginer un quartier. Le cube est marqué par les traces de la fragilité de cette forme difficile à réaliser en porcelaine : l’écriture laisse des traces, celles notamment des différentes étapes de fabrication. Ces œuvres contiennent en elles la force de l’écriture manuscrite propre à chacun, telle une archive contemporaine, support d’une mémoire inscrite dans la matière. Eclairées de l’intérieur, leurs imperfections sont sublimées, telle une invitation à songer au processus réparateur des failles, celles du bâti et celles qui marquent notre existence.
Les artistes rendent visibles les habitants qui apparaissent alors comme des figures témoins de l’histoire d’une ville. Ils sont notamment présents dans les portraits d’Ava Fischbach, qui émanent de son attention pour celles et ceux qui furent interrogés sur les traces qu’elles et ils pouvaient laisser. La peinture incarne leurs présences, leurs postures, leurs regards plongés dans leurs pensées. L’artiste se laisse porter par les histoires que ces personnes lui ont transmises. Sa pratique est nourrie des liens affectifs qui se créent au fur et à mesure des rencontres. Des enregistrements de paroles d’habitants de Vicq-sur-Breuilh et d’enfants du quartier La Bastide de Limoges rendent compte également de leurs relations à la trace : une forme de restitution des moments d’interrogations et d’écoutes bienveillantes.
Les deux artistes, dans leur démarche, ont l’habitude de faire appel, à la collaboration d’autres personnes. Elles croient au collectif et au potentiel d’une création à plusieurs. Leur processus de création tient également d’une approche comparable à celle des sciences humaines. Ava Fischbach et Axelle Labrousse font émerger des problématiques sociales et restaurent des relations entre les individus. Elles interrogent également la relation que nous pouvons avoir vis-à-vis des lieux que soit nous habitons, soit nous traversons. Leurs œuvres nous amènent à réfléchir aux manières d’aller à la rencontre, d’inciter à partager l’art à celles et ceux qui peuvent être éloignés des structures culturelles. Faisant participer les enfants à leur processus de création, elles leur ont donné la possibilité de déposer des traces des instants vécus. Les travaux qu’ils ont réalisés, exposés aux côtés de leurs œuvres, participent à l’ensemble de l’exposition, sur une même échelle de valeur.
Ainsi, cette exposition interroge les différentes définitions que tout un chacun peut porter à la notion de trace. D’où peut émerger une réflexion sur la place que nous occupons dans la société et comment nous pouvons nous engager à aller vers l’autre, à l’accueillir pleinement avec ses différences.
Pauline Lisowski
novembre 2024