Marie Havel associe une esthétique de la ruine contemporaine à des fragments de jeux d’enfant. Ses œuvres convoquent la mémoire collective de sites marqués par des conflits et des réminiscences de moments de l’âge innocent. L’imprévu, le cycle construction / déconstruction et le jeu sont au cœur de sa démarche artistique. Un basculement s’opère entre le monde de l’enfance et celui de l’adulte dans ses œuvres.
Ses souvenirs d’activités étant enfant surgissent dans son processus de création. D’où a émané sa série Trou d’obus, dans laquelle des cabanes se logent dans des espaces chargés d’histoire, de traces historiques.
L’architecture de défense et les forces de la nature se relient dans ses œuvres Qui perd gagne. Elles rappellent autant les châteaux de sable construits par les enfants que les vestiges de bunkers. Le bâtiment de défense et de protection dévoile sa fragilité, son instabilité. La puissance de ces forteresses n’est plus immuable, celles-ci sont vouées à la chute, à l’effondrement.
Dans sa série de dessins Jumanji d’un trait délicat, dans un certain prolongement du courant Romantique, elle compose des mondes où la végétation foisonnante a repris ses droits. Ses dessins révèlent des phénomènes de bouleversement, des architectures fragilisées, instables. En prenant le temps d’observer ses œuvres sur papier, nous pouvons apercevoir des éléments de jeux de société ou de construction.
L’artiste s’approprie les formats des jouets d’enfants et d’adultes, les détourne pour proposer des situations où tout peut basculer. Ses tapis de jeu présentent des chemins déstructurés, des ruines d’un territoire dans des couleurs vives, rappelant l’univers de l’enfance. Les dessins d’espaces idylliques sont remplacés par des obstacles et laissent la place à des accidents de parcours.
Elle poursuit son intérêt pour les formes de jeux en prenant comme point de départ les modes d’emploi de fabrication de mobiliers pour créer ses boites Build & Smash. Celles-ci contiennent des possibilités de constructions fragiles.
Dans un processus de travail appliqué, obstinée et attentif, Marie Havel recopie des livres qui l’ont influencée, composant alors une bibliothèque d’objets fait main, témoignage d’une culture populaire qui inspire les enfants dans leur apprentissage de la vie.
L’artiste-plasticienne utilise des matériaux de modélisme pour convoquer les étapes de fabrication à l’échelle du projet. Les jeux de construction, présents dans ses œuvres rappellent combien ceux-ci permettent de grandir. Elle lie le dessin et la maquette dans sa série des Flocages, inspirée des paysages troués par la guerre, en Picardie. En creux émergent des ruines de bâtiments et la végétation surgit en flocage coloré de modélisme, se développant sur ces architectures défensives qui ont marqué des territoires.
Des seaux en plastique, à l’origine moules pour créer des châteaux de sable sur la plage, sont déformés, tels qu’ils auraient subi un choc. L’artiste continue ses expériences de métamorphoses d’objets liés au jeu pour mettre en évidence certaines pratiques de fabrication qui s’imposent fragiles d’elles-mêmes. Les matériaux qu’elle utilise, en écho au monde des adultes, incarnent les récits proposés par ses œuvres. Ses petits bateaux en plomb aspirent à un danger à éviter. Un décalage s’opère entre ce qui apparait de prime abord et ce qui est sous-jacent dans ses sculptures Toucher le fond, réalisées à quatre mains avec le plasticien Clément Philippe.
Sa série les Nostalgismes, dresse un répertoire des bêtises d’adultes. L’artiste soulève en ce sens les paradoxes de l’adulte qui recherche les hors limites qu’il avait étant enfant.
Les gestes de former, de fabriquer et de transformer apparaissent dans le travail artistique de Marie Havel. Elle conserve également ses chutes de travail et recrée ensuite des petites constructions Messing Around. Des idées à l’abandon prennent ensuite racine.
L’artiste propose de nouvelles formes de ruines contemporaines, dans lesquelles des éléments cachés parmi les déconstructions créent un effet de trouble chez le spectateur. Ses œuvres nous invitent à songer à la fois à l’enfant qui est encore en nous et aux paysages bouleversés par les événements de la Grande Histoire. Celles-ci dévoilent des situations du quotidien où tout peut chavirer en un instant.
Pauline Lisowski