Les peintures, assemblages, sculptures, installations de Thibault Lucas incarnent une recherche d’unité à partir d’éléments contraires. Il crée selon des contextes, des rencontres avec des lieux et favorise une économie de moyens. Dans ses explorations de la ville, il s’attache à des éléments de construction, pierres, polystyrènes, planches, parpaing, etc, qu’il assemble en assumant leurs défauts et spécificités. Le plus souvent constituées de deux éléments uniquement, ses compositions convoquent l’équilibre, des rapports de force, une stabilité qui renvoient aux fondations de constructions architecturales. Les matériaux qu’il trouve l’amènent à construire sur place, avec un instinct d’assemblage qui rappelle celui de l’enfant ou de l’homme archaïque. Ses œuvres, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, d’apparence minimales, renferment une histoire. Le spectateur se fait alors archéologue en les contemplant et tente de percer leurs secrets.
Dans ses œuvres sur papier se révèle cette quête de l’essence de la forme. L’artiste privilégie les couleurs pures, primaires, jaune, bleu et rouge qu’il associe parfois par deux. La montagne, l’arbre, le caillou, les cavités se retrouvent dans ses peintures. Il laisse une grande place au blanc du papier pour ouvrir vers un ailleurs. La couleur suggère la puissance visuelle des éléments d’un paysage traversé. La multitude de touches gestuelles et accidentées traduit la rugosité, les creux, les cavités des montagnes.
À partir des sujets auxquels il s’intéresse (la guerre de 14-18, l’alpinisme, l’agriculture), il travaille par série. Ses encres expriment des sensations ressenties au contact de la nature : la nuit, le froid, la peur, la chaleur du soleil, le souffle du vent, le grincement des arbres, l’émerveillement d’une lumière, l’attente. Dans sa série Montagne Sacrée, le sujet est coupé, fragmenté, répété, pour évoquer l’immensité d‘espaces qui nous invitent à l’humilité. Dans sa série No Man’s Land, ses encres bleues de champs de bataille la nuit paraissent se prolonger entre elles pour créer un tout comme lors de son exposition à la galerie Graphem, Paris en 2018.
La pierre est un motif récurrent qui traverse ses œuvres de différents médiums. Dans ses encres, elle crée une perspective et rejoint l’élément premier constitutif du paysage. Ce matériau, dans ses compositions d’éléments, est aussi celui des ruines, monuments intemporels qui suggèrent l’idée d’absolu. Thibault Lucas s’approprie des fragments d’objets recueillis avec lesquels il crée des Idoles, œuvres qui font référence à des statuettes sacrées. Il construit également des totems, des dolmens, des cairns, des portes miniatures. Ses œuvres font référence à des pratiques de populations ancestrales et lointaines. La Fabrique de la Montagne Sacrée à l’église Saint Merry, installation constituée de peintures et sculptures représentées à différentes échelles nous rappelle l’expérience, de l’ordre du sublime, de l’inatteignable, que nous pouvons avoir face à un paysage qui nous dépasse. Dans l’interstice du fond poétique de l’arte povera et de la forme épurée du minimalisme, il crée parfois dans des situations inconfortables, avec une urgence d’agir à partir de trouvailles.
Sa pratique artistique est de plus en plus ancrée dans le flux de la vie. Il investit des terrains en transition à partir des éléments qu’il glane pour construire et provoquer des rencontres improbables avec des gens à la marge ou des passants. S’inspirant de la figure du géologue, il vit de l’intérieur l’espace qu’il explore en descellant des fragments d’histoire contemporaine. Ses interventions in situ ajoutent des traces récentes à des terrains déjà marqués par des passages et événements. Sa pratique acquiert une dimension sociale, comme si ses portes en pierre incarnaient un lien entre des communautés qui se côtoient mais s’ignorent.
Thibault Lucas capture également des moments en vidéo de la même manière qu’il dessine, dans l’instant avec une grande attention aux phénomènes qui apparaissent autant en ville qu’à la campagne.
Une tension entre les éléments, une stabilité de l’installation mettent en évidence le poids des matériaux et leurs capacités à tenir ensemble. Ses œuvres, a priori silencieuses, révèlent un aller-retour entre le présent et les cultures anciennes, entre le commun et l’absolu.
Pauline Lisowski