« Le paysage nous mobilise, nous engage à le parcourir parce que nous l’avons toujours déjà parcouru. »[1] Gilles A. Tiberghien
Les univers artistiques de Catherine Noury et de Martine Schildge se rencontrent à l’occasion de ce duo show à la galerie Sit Down. Des liens se tissent entre leurs cheminements de pratiques et de pensées. Au sein de la galerie, leurs œuvres, photographies retravaillées, dessins, céramiques, composent un parcours visuel et haptique.
Attentives et attachées aux éléments naturels qu’elles recueillent, les deux artistes revisitent à l’atelier l’idée du paysage.
L’élément glané permet à Catherine Noury de saisir une part du paysage exploré : « Le toucher c’est une façon de s’assurer que c’est réel. ». Dans les œuvres de sa série Botanique des riens, des branches récoltées lors de de longues marches se greffent à des éléments en porcelaine, telles des épines. Ces fragments acquièrent une seconde vie et révèlent une certaine poésie du presque rien.
Pour Martine Schildge, la pierre constitue le point de départ d’un travail sur la nature : « Ce qui m’émeut beaucoup, c’est la mémoire de la pierre, ce qu’elle a vécu. » Elle l’observe, y prend soin et réalise toutes sortes de manipulations, la couvre de feutre, la dessine et recherche le volume sur ses images. En les disposant sur des supports, l’artiste compose également de possibles paysages.
Toutes deux utilisent la photographie comme point de départ à des transformations pour nous inviter progressivement à découvrir leurs univers sensibles.
Les arbres décontextualisés, constituent des indices pour percevoir le mouvement du vent dans les images passées au crayon blanc de Catherine N. L’espace vide privilégié dans ses photographies évoque l’expérience contemplative et ouvre l’espace de l’imaginaire : « J’enlève pour mettre en évidence ». Face à l’immensité d’un paysage de falaise qui parfois nous dépasse, notre regard s’approche ensuite au plus près de la matière de ses céramiques. Par le dessin elle choisit de prêter attention àchaque élément sur lequel elle pose son regard, comme dans Combien d’arbres pour faire une forêt, une série de dessins de branches d’arbres composant une ligne. Une tension s’opère entre le petit et le grand, l’étirement de ses tirages photographiques et la réalité de ses compositions dans lesquelles elle redonne vie à des fragments naturels.
Martine S. intervient directement sur ses images, efface des détails… pour mieux faire apparaître les jeux de l’ombre et de la lumière dans une radicalité esthétique. Réhaussées de graphite ou de feutre argenté, ces impressions photographiques, Forêt enchantée, Tracer la lumière, invitent progressivement à nous frayer un chemin à travers des arbres : « J’expérimente des tentatives de paysages ». Son regard sur la nature s’affine au fur et à mesure de ses interventions sur ses images de forêts, un milieu où elle a éprouvé des émotions qui restent en mémoire. L’artiste épuise son sujet et propose diverses perceptions d’un même lieu : des reflets, des rayons de lumière invitent à nous émerveiller. D’une réalité perçue, ses ajouts de matières et gestes sur ses photos font apparaître un paysage intérieur.
Dans cette exposition où prédominent les monochromes, les œuvres nous incitent à aiguiser notre regard. Par ricochet, une proposition de paysage fait écho à une autre… Une pierre, une branche répond à un lieu parcouru. Les transformations, la vie du végétal et du minéral se révèlent. De multiples chemins se dessinent entre les œuvres de ces deux artistes. Des souvenirs de promenade, d’expérience contemplative et de contact avec des éléments naturels surgissent alors en les suivant du regard.
Pauline Lisowski
[1] Gilles Tiberghien, Le paysage est une traversée, Editions Parenthèses, 2020, p. 9.