Eve Pietruschi

Vue de l'exposition "Un geste vers le bas" d'Eve Pietruschi, Domaine du Rayol, crédit photo : Eve Pietruschi

artiste marcheuse, cueilleuse et attentive au vivant

La marche, chez Eve Pietruschi, constitue un rythme de ralentissement, d’éveil, d’écoute de ce qui se présente à elle. Son mode de vie doux et curieux est profondément relié à sa pratique au jardin de La Trinité, au cycle des saisons, des cueillettes, de la taille, du travail de la terre. Les gestes de soin qu’elle pratique participent à la compréhension des interactions entre les plantes et le sol.

En parcourant divers paysages, notamment le massif de l’Esterel, guidée par ses intuitions, l’artiste trouve matière à créer, en accord avec les éléments naturels. Elle s’attache à leurs particularités olfactives, gustatives, à leur aspect tactile, à ce qu’ils incarnent comme mémoire. Au plus près des plantes, elle ressent leurs potentialités et apprend leurs vertus notamment au contact d’herboristes et d’autres scientifiques. Son approche des biotopes me touche profondément tant elle active en moi les possibilités de renouer avec mon goût pour les cueillettes et la fabrication de bouquets, de parures, de couronnes à partir de toutes sortes de fleurs sauvages : des créations réalisées avec soin et patience, tels des présents, gestes d’affection envers celles et ceux que nous apprécions.

Au gré de ses pérégrinations, des phrases poétiques, telles des notes de ses observations, de ses ressentis s’ajoutent à ses œuvres qui occupent pleinement l’espace, nous invitant à prêter attention à l’architecture. Eve Pietruschi apprécie répondre à des lieux chargés d’histoire, se laisse porter par ce qu’ils transmettent comme sensations. Ses travaux proposent alors de nouveaux récits et activent différents sens. L’artiste ravive ainsi des moments propices au rêve, à une conscience des matières naturelles qui nous touchent, nous inspirent à replonger dans des paysages qui ont façonné notre existence. Ses dessins révèlent les plantes qui ont suscité sa sensibilité. Esquissés, au trait, réalisés à la terre, à l’aquarelle, sur des supports provenant de ses collectes, ils nécessitent une certaine proximité, une attention des plus aiguisée pour percevoir la délicatesse du végétal. Monotypes, impressions sur tissu, empreintes, ses travaux rendent compte de la mémoire du végétal herborisé. La rencontre entre un support et un matériau guide ses gestes. Eve Pietruschi fait confiance à ce qui lui échappe, observe les dépôts colorés, témoins des réactions naturelles, comme récemment ceux de poudres de roches volcaniques. Ses fresques réalisées à la terre émanent de gestes amples, tant son corps s’est imprégné de sensations lors de longs moments à marcher, à se poser, à écouter les sons de la nature, à humer les odeurs des plantes.

Ses installations invitent à un déplacement, à observer chaque élément récolté : fleurs, pierres, coquillages, plumes témoins d’instants lors desquels tendre son regard au sol. Des bâtons de marche en équilibre sur des pierres ponctuent l’ensemble et dialoguent avec les plantes dessinées, à l’échelle de son corps. Eve conçoit, réalise du mobilier, assises et tables en bois, permettant cette invitation à l’arrêt, à une pause pour respirer, s’émerveiller et apprécier la beauté de fleurs délicatement cueillies… D’où peut-être surviendra, chez le visiteur, un possible désir d’apprendre les caractéristiques des plantes. Les odeurs intègrent ses « voyages immobiles », telles qu’elle nomme ses installations : une manière de proposer une expérience de pleine conscience de leurs sensations, de faire venir différentes pensées, de se remémorer des paysages parcourus. Les voyages olfactifs déclenchent ainsi la réminiscence de souvenirs de marches.

Le partage, les moments de dégustation, d’écoute sont au cœur de sa pratique artistique. Les marches sensibles et ces expériences généreuses conviviales sont propices à des discussions lors desquelles tout un chacun peut être libre de dire, de raconter, de livrer ses impressions ou tout simplement d’être pleinement présent à l’écoute des éléments naturels.

Eve Pietruschi se nourrit de rencontres avec de nombreuses personnes qui vouent un goût pour des expérimentations, une curiosité et sont avides de collaborations lors desquelles chacun apprend de l’autre. A l’écoute d’abord de ce que les plantes lui transmettent par leur odeur, l’artiste décèle leurs potentialités et prend ensuite également le temps de se documenter sur leurs histoires et leurs vertus. Au contact de celles et ceux avec lesquels elle collabore, elle parcourt avec une grande acuité les territoires. Avec sa coéquipière Kalice Brun, écrivaine et herboriste, via le podcast Vivaces, elle offre à des personnes sensibles, l’occasion de rendre compte de leur relation au vivant. L’artiste cultive ces relations tels des cadeaux de la vie.

Ainsi, ses travaux, bien souvent résultant de gestes patients, mettent nos sens en éveil. Ils activent en nous de potentielles joies, celles de renouer avec des souvenirs et suscitent un désir de profiter de chaque instant, à apprécier sons, odeurs, couleurs et lumières.

Pauline Lisowski