Camille Douville

Profondément engagée dans la protection du vivant, de la biodiversité, notamment au sein du marais poitevin où elle est guide batelière, Camille Douville mène une démarche de création en harmonie et en prise avec l’extérieur. Chacune de ses œuvres résulte de son désir de fabriquer toutes sortes d’éléments nécessaires à la survie, à se sauver, à trouver refuge. Ses choix sont nourris de sa lecture de Walden de Thoreau et de sa philosophie de vie humble. Elle sait apprécier et créer ce dont on peut avoir besoin selon différents contextes et épreuves auxquels nous faisons face. À l’origine de l’association Bruits contemporains, Camille fait aussi partie d’une famille d’artistes qui s’engagent avec d’autres pour développer des projets favorisant le faire ensemble et la diffusion de l’art dans les territoires ruraux.

Ses moments sur un radeau qu’elle a fabriqué l’amènent à ressentir les éléments naturels et à se saisir de ce qu’elle trouve sur place pour réagir et créer en cas de situations extrêmes. Dans sa performance-construction intitulée Dérive, elle se retire en pleine nature, se mue en chasseuse cueilleuse, manipule des flèches qu’elle a façonnées. Ses gestes témoignent de son approche respectueuse d’un environnement. Chaque mise à l’épreuve relève du jeu et d’une éthique d’une vie ancrée au cœur d’un territoire qui lui est cher.

Convaincue de la fragilité du monde, de la précarité de l’individu et de l’architecture, préoccupée par l’état des différents milieux, l’artiste crée une série de tentes à partir de fragments de tissus et d’éléments issus de tentes usagées, imprégnées de la mémoire des différents territoires où elle s’est posée. Tout un chacun peut songer à une situation qui pourrait arriver et face à laquelle il lui serait nécessaire d’agir, parfois dans l’urgence. Chaque nouvelle expérimentation de matière relève pour elle du plaisir d’apprendre et de se donner de nouvelles cordes à son arc. Ses kits de survie se composent d’objets ambigus aux échelles disproportionnées qui relèvent à la fois de la sculpture, du design et du jeu. Elle s’évertue à trouver des possibilités de créer des modalités pour pouvoir résister, se défendre, trouver de nouvelles formes d’actions pour faire front commun. Son ensemble d’outils composant une sorte d’artillerie renvoie à des imageries collectives, celles du mythe du héros. Ces outils peuvent également faire songer à des trouvailles, issues de fouilles, témoignant d’habitats de personnes vivant dehors et avec peu. En attente d’être manipulés, ces objets-sculptures suscitent des questionnements sur leurs fonctions. Pour les confectionner, là encore, l’artiste engagée dans une forme de résistance, a pris soin d’écouter la matière et de suivre ses caractéristiques. Camille Douville parle de ses travaux avec humilité et de son amour pour les matériaux qu’elle trouve et valorise pour leur histoire. Elle estime avec passion le travail des artisans et tend à susciter en nous les envies de se donner les moyens de construire les éléments qui nous seraient nécessaires pour vivre simplement. Songeons notamment à l’architecte Yona Friedman et à son expression « l’architecture de survie ».

Face aux migrations climatiques, de quoi aurions-nous besoin ? Comment aspirer à de possibles espoirs ? Comment retrouver un certain apaisement face à des montées d’angoisse dues aux informations qui circulent ? Camille Douville propose sa propre réponse en réalisant une tente à l’échelle 1 à partir de draps récupérés et sur laquelle sont brodées des données du GIEC. Elle s’inspire des tapisseries médiévales pour donner à lire les phénomènes naturels qui troublent actuellement la planète et qui nous engagent à résister et à vivre différemment. L’intérieur laissé blanc constitue un lieu refuge où déposer ses peurs, où retrouver son souffle et son courage. Cette œuvre in process porte en elle de nombreux possibles…

Le cerf-volant, objet qui traverse différentes cultures, lui permet également d’envisager la dispersion de messages, de symboles forts comme l’outarde canepetière, emblème des soulèvements de la terre et la figure de Sainte-Soline. Elle réalise également un drapeau palestinien en réponse aux monstruosités de la guerre à Gaza. Ce projet en cours est né de sa rencontre avec Michel Gressier, fabriquant de cerfs-volants. Ces œuvres, tributaires des conditions météorologiques et des aléas, nous incitent à nous interroger sur l’impact des images et sur leur résonance. Celles-ci sont aussi porteuses d’espoir et incarnent l’énergie que procurent les relations humaines.

Les œuvres de Camille Douville, à même de durer dans le temps long, tendent à activer des possibles moments de rencontres, de partage et de prises de décision.

Pauline Lisowski