Dorian Cohen, Nous danserons un jour ensemble

Les peintures de Dorian Cohen témoignent de sa fine observation de la ville, de ses aménagements et de sa végétation. Il représente des espaces du quotidien, sans présence humaine, parfois banals et souvent sans grand intérêt pour le passant. Par des couleurs denses, la touche lisse et léchée, et des jeux d’éclairage délicatement orchestrés, ses œuvres dégagent une atmosphère de mystère, d’un possible basculement de la réalité urbaine vers un paysage mental.

Dorian Cohen puise ses références dans l’histoire de l’art, de la peinture de paysage des 17ème et 18ème siècles aux architectures contemporaines des années 90. Il les croise et les interprète pour organiser ses jardins, squares et scènes urbaines. La vision d’un paysage idéal avec un perspective à l’infini n’est pas sans rappeler, par exemple, les œuvres de Poussin ou Le Lorrain. Plus proche de nous, l’artiste n’est pas insensible au travail de Cézanne ou de Kandinsky avec la peinture Une nuit à l’Opéra. Sa fine observation des lieux qu’il fréquente, de leurs architectures, l’inspire notamment pour ses mobiliers urbains.

Nourri également de sa pratique d’ingénieur-urbaniste, attentif aux manières dont les arbres sont plantés en ville, l’artiste développe son propre vocabulaire formel, architectural et végétal, qu’il révèle grâce à la lumière et des teintes de bleus et de verts devenus récurrents dans ses tableaux.

Ainsi, l’arbre tant représenté en peinture depuis le 14ème siècle, cet être majestueux, vénéré pour son port et sa végétation devient acteur de ses tableaux. Dans la série des Départs en vacances, où les autoroutes s’écroulent, un mouvement est déjà là. Les arbres vacillent comme pris dans le même élan de ces infrastructures qui s’éclatent. Dans ses peintures, se révèle aussi un rapport de force, un combat entre les arbres et les autoroutes. Cette rencontre, entrechoc, ressemble à une chorégraphie.

Dans ses urbanités, où Dorian Cohen observe le jardin public, l’arbre, au tronc frêle est sujet d’un fantasme dans une atmosphère nocturne. Il a besoin d’un soutien, se rapproche de son prochain. L’arbre est coincé dans le mobilier urbain, cherchant à s’en échapper.

Comment redonner de l’humanité aux arbres ? Et si les arbres dansaient ? Rêverie ou justesse du regard ?

L’artiste construit son tableau comme un chantier et conçoit ses paysages comme des natures mortes. Ses paysages sont faussement réalistes. Même si au premier regard, nous pensons être face à une peinture des plus réalistes, quasi photographique, en prêtant attention à la lumière et aux formes des arbres, nous percevons un paysage composé. Les perspectives sont faussées, les ombres parfois mensongères, la torsion des arbres souvent improbable.

Le peintre affirme « La nature n’est pas un décor mais un sujet en tant que tel » et compose ses paysages comme un metteur en scène et non comme un paysagiste : avec une scène, un décor, des lumières, une narration. Il joue avec des procédés de dramatisation du paysage comme le clair/obscur visible notamment dans sa grande toile produite pour L’aparté. Ses espaces dégagés de tout référent laissent la place à l’arbre devenu sujet sensible, ce corps qui s’agite, se balance. Les immeubles ne sont plus réduits qu’à des formes qui rythment leur danse.

En résidence à L’aparté, Dorian Cohen réalise une série de peintures, nous danserons un jour ensemble, où les arbres paraissent danser. Il plante d’abord son arbre, lui donne son mouvement et construit son environnement : un espace pour qu’il puisse avoir les possibilités de se déployer. L’artiste accentue, par un jeu de lumière, sa capacité à se mouvoir. Elle caresse les troncs et révèle la lenteur de ses mouvements. L’arbre devient un danseur sur une scène. Son port témoigne d’une vulnérabilité mais aussi d’une souplesse qui le rend plus fort.

De tableau en tableau, les arbres se déplacent, comme s’ils cherchaient à s’apporter les uns, les autres. Ses séquences de peintures invitent le spectateur à percevoir leur mobilité, un temps suspendu. Seule une toile de petit format présente un sujet isolé, qui ne tient qu’avec un tuteur et tente de se libérer d’une contrainte.

Dorian Cohen met en lumière leur chorégraphie naturelle et nous invite à prendre conscience des capacités, tel que l’affirme le botaniste Francis Hallé[1], des arbres à communiquer entre eux. Leur courbure et leur échange nous incitent à nous allier, êtres humains, à cette danse, libératrice.

Pauline Lisowski

Critique d’art et commissaire d’exposition


[1] Plaidoyer pour l’arbre, Ed. Actes Sud, 2005.