L’observation, l’émerveillement et l’étude des formes naturelles irriguent le travail artistique de Baptiste Lanne. De son regard analytique, proche de celui du scientifique, du botaniste ou de l’archéologue, naissent des œuvres hybrides. Divers fragments et éléments, issus d’arbres ou d’autres vivants, se rencontrent et germent pour donner la vie, dans une sorte de latence : une démarche proche des d’artistes du mouvement de l’Arte Povera.
Ses œuvres, constituées de ramifications, d’embranchements, nous amènent à appréhender les directions que prennent les branches selon leur environnement, la proprioception du végétal, la résilience qui lui est propre. Celles-ci incarnent les processus de croissance, suggèrent des greffes, des boursouflures, des croisements influencés par la lumière du soleil et par l’impact du bouleversement climatique. Chez certaines, difficile parfois de saisir où réside le geste de l’artiste… L’ensemble de sculptures qu’il nomme « figures de l’éclaircie » fait écho à une typologie des ramifications, des formes des tailles.
La diversité du monde naturel fascine et nous engage à une certaine humilité, tant vis-à-vis d’éléments de l’ordre de folioles que de troncs d’arbre. Et si les êtres vivants non humains nous regardaient avancer à toute allure, ils nous inciteraient peut-être à ralentir et à vivre en harmonie avec autrui : une réflexion qui peut surgir en contemplant les œuvres de Baptiste Lanne. L’enfant s’éveille au contact des arbres, ressent la fraicheur d’un cours d’eau, se laisse porter par des sons, des odeurs et du vent. L’artiste tend à cultiver sa sensibilité lors de promenades régulières à proximité de son atelier. Il y trouve toutes sortes de formes, de couleurs, de textures avec lesquelles entrer en relation. La graine, le galet, des formes rondes polies par le temps et la main ponctuent ses bas-reliefs, tels des points d’accroche où pourraient s’insérer de nouvelles branches. Ces éléments, comme autant de fruits récoltés, constituent des indices de la géologie d’un territoire.
Ses gestes dans le bois et dans la terre révèlent également des tracés à même les matières naturelles. À l’aide d’outils comme des gouges, Baptiste Lanne creuse différentes essences de bois. Ces creux rappellent les flux des cours d’eau, les dépôts de sable, les sillons, les traces de présences. Les lignes qui cheminent d’une matière à une autre, témoignent d’un temps long, celui qui façonne les milieux naturels.
En s’attardant sur les feuilles percées par les animaux, qu’il garde précieusement et dont il se sert pour des compositions, l’artiste met en lumière la diversité des teintes et des formes. Il révèle une transformation, un changement d’état qui se prête à l’interrogation ainsi qu’à l’enquête : une attitude qui le rattache à une famille d’artistes qui vouent une relation à la nature comme présence pour elle-même, à l’instar d’herman de vries ou de Marinette Cueco pour ne citer qu’eux.
De plus, Baptiste Lanne cherche la forme pure, travaille son matériau avec soin et délicatesse. Le contact de ses œuvres rappelle la chaleur du sable ou du bois sur lequel s’asseoir. Ses bas-reliefs, composés à partir de fragments de bois, présentent des vides, à travers lesquels les rayons du soleil pourraient se glisser. Dans ces ouvertures, d’autres végétaux pourraient aussi s’insérer… Sur des plaques de bois, des formes dessinées au pastel ajoutent une lumière, un éclat. Celles-ci nous incitent à regarder au plus près la matière, à la considérer comme précieuse.
Certaines sculptures en bois recouvertes d’encre de Chine s’apparentent à des chimères : un changement de règne qui nous invite à nous interroger sur les transformations du vivant provoquées par l’anthropisation. D’autres ressemblent à des corps, des organismes en croissance avec lesquelles entrer en relation par notre propre souffle. Un léger mouvement, un emboitement possible se laisse imaginer en contemplant ses œuvres ; des énergies semblent s’attirer.
Sculptures, bas-reliefs, peintures et compositions de végétaux dialoguent et créent un ensemble propice à l’émerveillement, à l’attention aux éléments minuscules et pourtant si proches d’un environnement quotidien. L’envol des feuilles, la dispersion des graines et les variations de couleurs au gré de la lumière : des souvenirs remontent à la surface, d’une œuvre à une autre. Nous pouvons ainsi ouvrir nos sens, être à l’écoute de l’altérité, des sons et des odeurs de la nature.
En somme, les œuvres de Baptiste Lanne nous proposent de changer de focal, d’élargir notre regard pour mieux considérer le monde vivant et accueillir l’inconnu.
Pauline Lisowski
Juin 2024