Artiste et poète, nourrie d’une méthode d’enquêtrice propre à son désir de comprendre le monde géopolitique, Carine Valette développe une pratique artistique transdisciplinaire et engagée. Elle interroge notre place d’être humain dans les territoires, la question de les habiter et le poids des histoires familiales.
Dans ses travaux, territoire politique et espace poétique se croisent, se rejoignent et s’enrichissent l’un, l’autre. Depuis la terre de ses ancêtres au Chili où elle est venue s’installer, elle développe un travail d’écriture, de gravure et d’expérience scénique. Lorsqu’elle retourne dans le Bassin d’Arcachon, où elle a grandi, elle porte également son attention à l’environnement. Son approche des techniques de la gravure et du cyanotype l’amène à replonger dans les territoires fondateurs de son parcours. Ses gravures expriment ses émotions. Dans la série Territoires invisibles notamment, des formes apparaissent telles l’expression d’une émotion face au vivant, un langage permettant d’ouvrir sur des mondes inconnus. Les aléas qu’elle rencontre en travaillant au gré du soleil l’incitent à prendre une posture humble vis-à-vis des éléments vivants qu’elle observe. Parfois, des chutes de supports lui servent pour d’autres gravures. Ces mutations rejoignent les transformations à l’œuvre dans des paysages qui lui sont chers. Ses supports de travail sont également parfois chargés d’histoire, de mémoire des lieux où elle s’est rendue et lui permettent d’explorer les liens avec les femmes de ses lignées. Les mots et les textes qu’elle écrit à même ses œuvres rendent compte de ses émotions, de son état du moment et de la nécessité de qualifier, de donner à lire son observation du monde, des milieux, de la biodiversité fragilisée. Son énergie interne l’incite aussi à monter sur scène, à créer, à livrer sa poésie, son engagement, son désir de réveiller les esprits.
L’artiste s’intéresse également à l’ethnobotanique et rend visibles nos relations aux plantes. Elle tente de nous inciter à reprendre contact avec elles et à apprécier s’arrêter pour les observer au plus près. Cette attitude contemplative l’amène à transcrire ses sensations, sa conscience d’un paysage qui se fragilise à mesure qu’il est exploité. Durant un voyage dans le désert d’Atacama, ses plaques de gravures avec elle, Carine Valette a transcrit la topographie de ce milieu qui fascine. Sa ligne traduit ses perceptions, un rythme, à la manière de celles d’un sismogramme. Elle privilégie l’unicité de chaque tirage, telle la trace d’un moment vécu, d’une lumière, d’une forme qui se dessine. Le nouveau pacte, réalisé en gravure et broderie, montre une plante du désert en relation avec un fragment de sel, témoin de la particularité du milieu le plus aride de la planète.
Les textes écrits à la main, d’une écriture souple et déliée, ponctuent ses œuvres ou sont présents sur de grands draps ou voiles qui incitent le spectateur à prendre le temps de lire et de s’interroger sur une situation, bien souvent passée sous silence.
Son expérience de la scène la conduit également à penser la scénographie de ses expositions en interaction avec les visiteurs, telles des espaces ouverts au récit, au déplacement, à des découvertes d’objets chargés de mémoire. Ses œuvres sont ainsi spatialisées et constituent des indices pour aborder des faits sociaux, converser, échanger et élaborer une réflexion. Il s’agit pour elle de restaurer les liens entre les humains et l’environnement. Dans son projet au long cours ¿Cómo queremos vivir? (Comment voulons-nous vivre ?), l’artiste aspire à rendre compte des conséquences de la colonisation des européens sur le peuple Mapuche au Chili, une période de l’histoire trop souvent évincée et qu’il convient de mettre au grand jour.
Par la poésie, à la fois écrite et performée, elle libère la parole des femmes. En la lisant et en l’écoutant, nous ressentons son attitude, sa vision du monde, ses valeurs et l’histoire du territoire de ses ancêtres. De plus, Carine Valette s’engage à développer des projets collectifs auprès de communautés de femmes, une manière de s’investir et d’inviter les personnes à reprendre confiance en elles et en leur corps.
Ainsi, au travers de son œuvre poétique et politique, l’artiste transmet sa sensibilité pour l’ensemble des êtres vivants.
Pauline Lisowski
