Florent Lamouroux

Les différentes facettes du plastique et ses transformations.

Le plastique jetable est partout dans notre quotidien, dans nos modes de vie. En plein développement au milieu des années 2000, il est l’objet mythique d’une société de consommation. Florent Lamouroux porte un regard sur ce monde, sur l’époque dans laquelle nous vivons, que l’on pourrait qualifier « plasticocène ».
Que faire de ce matériau dont la plasticité permet une diversité d’usages ? Comment considérer aujourd’hui le plastique tant il semble avoir envahi nos vies, la planète, ayant fusionné avec les éléments naturels ? Comment suggérer de nouvelles manières d’exister, d’habiter un monde bouleversé par le changement climatique et par la présence invisible d’une matière polluante, tellement banalisée qu’on n’y fait plus attention. ?
Florent Lamouroux observe son environnement où règne, selon lui, une culture du paraître, de l’apparence. Dès ses études à l’école d’art de Bourges, il privilégie une économie de moyens et considère le plastique comme un matériau d’une grande vacuité, disponible sous différentes formes. Dans son atelier, une étagère est consacrée à sa collection de sacs poubelle en plastiques colorés avec lesquels il réalise de nombreuses sculptures. L’artiste l’utilise comme une membrane avec laquelle il crée ses costumes : Avec sa série Casting, inspirée d’images télévisuelles, il parodie une esthétique brillante du cliché, la standardisation, les clichés. Il interroge la recherche d’artifice, la culture du factice, le désir de paraître différent et ce au moyen de transformations plastiques. Son travail artistique relève d’une esthétique du bricolage et valorise les matériaux non nobles, peu coûteux. En effet, les feuilles de plastique, assemblées à l’aide de ruban adhésif transparent, lui permettent une mise en forme rapide. Ce travail est ensuite pris en photographie de sorte que sa visibilité en image contribue à une réflexion sur le caractère trompeur du plastique.
L’artiste questionne l’uniformisation, la réplique et crée des secondes peaux, en réponse à son interrogation sur le conditionnement de l’humain par la société, une identité vouée à être remodelée dans le sens de l’économie capitaliste mondialisée. « Je travaille la surface des choses, le visible et sa profondeur, sa réalité » affirme-t-il. Déconditionnement, moulage du corps de l´artiste en sac-poubelle blanc et ruban adhésif transparent suggère, comme le titre l’indique, une tentative de s’extirper des carcans dictés par l’uniforme qu’on doit revêtir pour exister au sein d’un groupe. Autoproduction, moulage du corps reproduit en sac-poubelle bleu, ruban adhésif transparent, peut évoquer le devenir de l’individu, cloné dans le but d’augmenter la surproduction : une critique de l’auto réplique comme moteur de la standardisation de la société, tel un avenir de l’ordre de la fiction dérangeante.
En employant le plastique, Florent Lamouroux porte un regard critique sur les bouleversements des territoires et des paysages. Il rend visible l’histoire de nos usages et les modifications de nos comportements à une époque marquée par le capitalisme. La nature est si maîtrisée par l’homme qu’elle en devient artificielle. Le plastique est utilisé pour l’imiter et sa perméabilité permet de créer toute forme. Ce matériau pastiche la nature dans
Plasticultures 1 et 2. Dans la première, des arbres jouets en plastique sont plantés dans des petits pots de fleurs recouverts de béton, remplaçant le terreau habituel : une installation dans une serre, telle une image factice d’une culture d’arbrisseaux standardisés. Nous pouvons songer aux légumes OGM calibrés. N’allons-nous pas vers une production standardisée de faux arbres, remplaçant ceux en train de disparaître ? Pour la seconde, l’artiste a donné une seconde vie à un arbre en lui plaçant des sacs poubelles verts en guise de feuillage : le geste est fort tant il invite à prendre conscience de la trop grande place qu’occupe le sac plastique dans nos vies et des quantités de déchets que ne voit même plus tant ils participent du quotidien. Cette intervention répond aux images chocs de sacs plastique qui volaient à l’air libre dans une immense décharge publique à ciel ouvert à Marseille, qui continuent de circuler.
Plastic (Is)land, œuvre réalisée en cagettes de plastique thermosoudées, nous donne à lire la présence du plastique au cœur de la terre et en surface, tant celui-ci irrigue les terres. Cette île constituerait la métaphore des terres exploitées, une impression de débordement de plastique qui recouvrirait le sol et prendrait le pas sur la biodiversité.
De plus, Florent Lamouroux s’évertue à mettre en évidence l’origine du plastique, ce pourquoi il a été créé et les valeurs qu’on lui attribue, celles de faciliter la fabrication, la diffusion et la consommation. En l’expérimentant, il joue sur le cycle de transformation et redonne une autre valeur aux résidus. Ses œuvres Les alchimiques jouent sur notre faculté à appréhender les matériaux qui les composent : terre cuite émaillée, verre, plastique. Pouvons-nous appréhender le plastique différemment ? Telle est la question que pose cette pièce. L’artiste renverse également la fonction imitatrice de cette matière en créant des œuvres en céramique, qu’il nomme Contradiction. Le sac plastique habituellement malléable et souple devient une sculpture lourde, contenant le poids d’un monde pollué.
Le réemploi d’objets de consommation parfois ludiques et l’humour caractérisent la démarche de l’artiste. Sa série des Boules à neiges, détournées de leur fonction, constitue une métaphore de l’état actuel de la planète. L’intérieur est vidé de son contenu, les paillettes de plastique pour représenter la neige sont remplacées par des micro déchets de plastique ramassés sur les bords de mer, réduits en micro granulés. Une fois la boule retournée, ces petits éléments s’agglutinent et donnent à voir l’image du 7e continent. Ce phénomène visible à notre échelle et provoqué par un geste simple, sollicite notre interrogation : quel impact laissons-nous à l’échelle locale et à l’échelle planétaire ? Le microplastique est partout, il colonise la nature. Il mute et sa présence modifie les territoires. On ne s’aperçoit même plus de sa présence tant il fait partie de notre environnement. La fabrication de cette œuvre l’a amené à une rencontre, celle d’une balise routière en plastique rouge, déposée par le courant sur les hauteurs d’une presqu’île. Il décida de collaborer avec une entreprise de plasturgie locale pour transformer cet objet en granulés. Ceux-ci furent ensuite fondus dans les machines à injection pour en retirer plusieurs sections afin d’obtenir un fil rouge qui a ensuite servi de bobine pour une installation, encore visible à l’écomusée du Véron. Florent Lamouroux s’approprie les usages habituels des machines et s’engage dans un processus de transformation vertueuse : une
balise routière devient fil, fixé aux piquets existants d’une pâture. Cette intervention discrète contribue à délimiter un pâturage.
Présent au coeur de la terre, dans les océans et en surface, le plastique créé par l’homme, devient « un monstre de la nature désormais autonome », pour reprendre l’expression employée par l’artiste. Il colonise la nature, mute, se transforme, colonise l’environnement, notre quotidien et produit des formes qui peuvent être assimilées comme des galets naturels (série Cairn, déchets de mousse polyuréthane et polystyrène façonnés par la rivière le Lot).
Ainsi l’artiste emploie le plastique avec ironie et philosophie. Il tend à rétablir des vérités sur les usages que nous avons dédié à ce matériau et attire notamment notre attention sur l’aménagement des territoires, sur la production, le rendement, le dessin des frontières, la construction et l’exploitation des terrains. A travers les différents emplois qu’il fait de cet objet, de cette matière propice à tant de transformations déjà opérées, il invite à envisager de nouvelles perspectives à l’encontre d’un cycle de surproduction.


Pauline Lisowski
Septembre 2024