Sayonara Pinheiro cultive une attitude artistique, inspirée par ses observations de l’espace naturel à proximité de son lieu de vie. Au contact de l’océan, où elle retourne quotidiennement, l’artiste brésilienne réalise un travail par empreinte. Elle observe la puissance de la nature aussi bien dans des milieux naturels que dans des espaces urbains. Ses déplacements dans différentes villes l’incitent à s’arrêter, à appréhender les matières, des matériaux, parfois des objets d’usage. Elle les assemble avec soin et poésie. Après son passage, leur présence est porteuse de questionnements sur nos usages de l’espace public. Sayonara dessine également des chemins, matérialisés par des lignes de fleurs artificielles. Ses performances, en milieu urbain, incitent à ralentir et à prendre conscience de la rue comme lieu d’affirmation, de prise de position. Elles expriment des questionnements sur nos manières d’agir et de considérer l’environnement. Avec Flores no asfalto, installation dans l’espace public, réalisée dans plusieurs contextes urbains, Sayonara suggère un possible éternel printemps. Cette œuvre invite à nous interroger sur nos usages des plantes ainsi que sur la maîtrise de l’homme sur la nature. L’artiste intervient également sur les plages et révèle, par sa présence et des gestes de sillons sur le sable, les bouleversements du paysage (résidence à Casa Vermelha, résidence à Casa Vermelha). De 2017 à 2019, elle a récolté des échantillons d’eau en milieu urbain et les a installés à hauteur du regard, un protocole qu’elle pourrait poursuivre selon ses déplacements. En somme, ses interventions urbaines, tels des moments de résistance, nous incitent à prendre position vis-à-vis de nos libertés, des conditions de la femme et de nos impacts sur l’environnement. Ses œuvres in situ touchent de près les passants tout en faisant resurgir à la fois récits personnels et histoire collective.
Sayonara se laisse également guider par ses relations fertiles avec chaque élément naturel. Elle perçoit la beauté et la poésie des fragments de végétaux séchés qu’elle récolte avec bienveillance. Elle les considère comme faisant partie d’un tout à respecter. Aussi, elle observe et photographie des compositions de feuilles et de brindilles en équilibre, telles des micro-architectures, possibles constructions animales ou bien fruits des mouvements de la nature. Les matières naturelles deviennent précieuses à ses yeux et nécessitent un soin particulier. Dans l’installation Outono guardadon, deux états des feuilles d’automne sont installés à hauteur du regard, telles des présences en suspens. Sayonara révèle leur langage, leur fragilité et met en lumière les dessins qui en émanent. Les formes des feuilles de bananiers l’inspirent notamment à des prises de vue, des images témoins d’un mouvement, d’un volume créé au gré au cycle de vie des végétaux.
Revenons aux sources de sa création. Attachée à la plage comme environnement qu’elle a vu se modifier au fur et à mesure des années, l’artiste prend le temps de laisser s’imprimer les différentes couleurs de la falaise sur un support. Elle fait resurgir les diverses couches géologiques, une mémoire des transformations de la topographie. Sur papier, ses empreintes de végétaux restituent des moments d’attention ainsi que l’énergie transmise par les plantes. De même, ses œuvres sur tissus contiennent différentes couches de temps, des traces, des remous… Celles-ci présentent un mouvement, en écho aux changements des bords de fleuve et de mer, aux formations géologiques, de paysages qui se fragilisent. L’artiste renoue avec la mémoire des peuples autochtones, aux croyances en la nature qui nous relie.
Face aux formes que dessinent l’ombre et la lumière et aux couleurs de la nature, elle s’offre des moments de contemplation. A l’intérieur de sa maison, des rayons de lumière lui apparaissent telles des présences, des signes de l’impermanence de la nature. Elle recompose ces micro phénomènes, qu’elle saisit avec patience afin de créer des atmosphères de rêverie. O que passa lá fora ressoa aqui dentro, ses captations vidéo transmettent la vie et les bruits de la ville tout en laissant imaginer un autre monde.
Récemment réalisée sur le mur de l’Age d’or, à Paris, sa fresque composée à partir de formes et de signes aux couleurs des paysages qu’elle a en sa mémoire, donne à voir, avec du recul, les traces de chemins. D’autres lignes rappellent des squelettes de feuilles ou bien des fibres végétales, qu’elle conserve comme ses petits trésors. En créant cette œuvre in situ, l’artiste renoue également avec des pratiques de cultures ancestrales : Les lignes peintes font écho à la tradition de peintures sur le corps… Les différentes strates graphiques ravivent les traces des transformations des éléments naturels et des paysages.
Ainsi, la démarche artistique de Sayonara Pinheiro émane de la rencontre avec une situation, des matériaux, des signaux ou bien des faits sociaux. Attentive aux curiosités de la nature, l’artiste transmet, dans ses œuvres, l’attachement à la terre et aux liens entre tous les vivants.
Pauline Lisowski