Suite à sa découverte des espaces architecturaux du Château-musée de Tournon-sur-Rhône, imprégné de ce qu’il y a ressenti, Mengzhi Zheng propose diverses expériences perceptives d’espaces. L’artiste réunit des œuvres issues de différentes recherches plastiques, qui se répondent et restent en mémoire au fur et à mesure de l’exploration des lieux. Ses dessins, sculptures, installations, inspirent le mouvement, une translation.
Comment habiter l’espace ?
Un ensemble de gestes et de postures constitue les clefs de lecture des associations entre ses œuvres. Ouverture / fermeture, éloignement / proximité, plein / vide, ces oppositions induisent des dialogues, des suites à envisager entre ses constructions, qu’elles soient de l’ordre du dessin ou du volume. Mengzhi Zheng laisse à celui qui regarde la possibilité de se raconter une histoire, d’imaginer une situation. Tout un chacun peut y ressentir diverses sensations et se projeter dans un paysage, dans un milieu en transition. « Habiter ne signifie pas être entouré de quelque chose ni occuper une certaine portion de l’espace terrestre. Cela signifie tisser une relation interne avec certaines choses et certaines personnes au point de rendre notre bonheur et notre respiration inséparable[1]. » affirme Emanuele Coccia. Tout au long de notre déambulation dans les salles du château, des souvenirs de passages, d’une situation vécue à une autre, peuvent naître en nous.
Pas à pas, la traversée de ses œuvres se fait à la fois mentalement et physiquement. En nous déplaçant, notre perception s’aiguise et nous prêtons attention à notre propre corps. Les œuvres habitent les salles tout en nous incitant à nous positionner de diverses manières, attirés par les lignes et les couleurs.
Travaillant à la fois dans son atelier et dans l’espace public, Mengzhi Zheng présente des œuvres qui témoignent de son approche sensible de la ville. Ses dessins incitent à nous projeter dans des espaces ou à cheminer entre des éléments, obstacles et mobiliers, propices aux jeux et à toutes formes d’appropriations.
Dans la salle des gardes, ses Maquettes abandonnées renvoient à des constructions précaires, à des espaces entre dedans et dehors. Les couleurs vives dans ses séries de dessins et de sculptures font écho à celles des maisons possiblement abandonnées qu’il a photographiées. Faites de papier, de carton, de tarlatane, de petits bois, ses sculptures résultent de gestes rapides, d’une improvisation. L’artiste met en place des protocoles, construit avec peu, de manière spontanée et dans une énergie du moment. L’urgence de créer se lit au travers de ses œuvres. Se sentir protégé, à l’abri, tout en pouvant avoir accès à l’extérieur, telle est la pensée qui survient face à ses sculptures. Gilles A. Tiberghien écrit : « Mais la construction de la cabane en tout cas n’obéit à aucun ordre, elle est faite de matériaux hétérogènes, très différents les uns des autres, souvent des rebuts, des choses abandonnées, trouvées sur place[2]. » Cette pensée résonne avec la démarche et la méthode de construction de l’artiste. Ses Maquettes abandonnées réveillent nos désirs de créer, d’inventer des habitats-habitables. Notre regard circule et nous songeons à de possibles constructions. Les dessins de la série (Dé)coller, 2021, présentent différentes strates de recouvrement et d’effacement qui résonnent aux sculptures.
Au fil du parcours, des formes géométriques apparaissent récurrentes. Couleurs vives et teintes naturelles nous conduisent à un va-et-vient du regard. Plier, aplatir, décoller, ces verbes font écho à des intentions potentielles, à des manières d’expérimenter divers supports.
Des lignes, des architectures, un paysage, différents points de vue…
L’œuvre de Zheng tient du dessin. De ses gestes de sculpteur à son expérience physique des salles, l’artiste s’interroge sur les perceptions que nous pouvons avoir des intérieurs comme des extérieurs. Dans l’espace Broët, il reconfigure un cheminement par un jeu de plis et d’élévation de sol. Pli-Depli, 2015, son installation déploie des lignes et des ouvertures, qui rappellent des fenêtres. D’autres formes ouvertes se greffent à l’architecture, la transforment et proposent alors une multitude de cadrages. En s’immergeant dans cet espace, nous débutons un parcours labyrinthique. Nous nous créons notre propre chemin, attirés par les Petites chutes, sculptures réalisées en différentes essences de bois, disposées sur une cimaise renversée, devenue plan d’une potentielle ville. De part et d’autre de cet espace reconfiguré, les sérigraphies Aplatir le ciel suggèrent des vues d’en haut, des ébauches de places ou d’aménagements urbains.
Dans la salle dite de l’Atelier, au milieu du parcours, un paysage vertical où chaque plan appelle vers un autre, propose un temps propice à la contemplation… Inspiré par la perspective dans la peinture chinoise shanshui (montagne-eau), l’artiste nous invite à regarder du bas vers le haut, de la terre, de l’eau, entre les vallées, les montagnes et le ciel, à cheminer comme dans un jardin. Bien qu’en retrait, nous sommes incités à traverser, à accéder, à aller au-delà. Telle une scène, tel un décor, l’installation Aplatir le ciel nous conduit à nous déplacer et à découvrir une infinité de perspectives.
Au rez-de-chaussée de la Tour Beauregard, les Inhabitats, entre ouvertures et fermetures nous confrontent à des cloisons, face auxquelles des souvenirs d’être enfermés peuvent émerger. Posées sur des tables, ces quatre sculptures blanches, tels des corps s’imposent à nous. En en faisant le tour, nous recherchons les percées de lumière et percevons les jeux d’assemblage de formes géométriques.
Prendre de la distance pour percevoir la ville, telle est l’expérience proposée au premier étage de cette tour. L’installation Dessous-dessus nécessite un temps long, du recul. Les plus curieux et attentifs y verront des formes géométriques suggérant de possibles nuages ou une vue d’une ville en plan. Dans ses gravures, ici impressions agrandies, le traitement des maisons et des éléments de l’espace urbain rappelle les graphismes des plans d’architectes ou de paysagistes. Des liens subtils et un équilibre se créent entre les vues en contre-plongée de ses gravures – eaux-fortes de sa Chine de 2008 – ainsi qu’avec les lignes dessinées par cette construction, ouverte, potentiel abri ou observatoire du paysage urbain.
Contemplation et mémoire des espaces
« Habiter, ce n’est pas seulement être quelque part, c’est y être d’une certaine manière et pendant un certain temps. Nous sommes habitant, au principe présent, dans nos activités quotidiennes ou exceptionnelles, nos gestes, nos habitudes, nos façons différentes d’être présents à l’espace et de nous y conduire, voire de nous laisser imprégner par les lieux dans lesquels nous nous tenons régulièrement[3]. » écrit Jean-Marc Besse. Les lieux où nous vivons influent sur notre sensibilité et sur notre bien-être. Quête des habitats où se sentir chez soi, où le bonheur est possible… Comment y trouver refuge, telle est la question que nous pouvons nous poser lors de migrations. Ses œuvres ont une apparence ludique et invitent à se les approprier. Dans celles-ci, le vide favorise la respiration, la sensation d’une liberté de mouvement. Ombres et lumières recréent de nouvelles lignes et formes tout au long des heures de la journée.
Ainsi, ralentir notre marche, prêter attention aux détails des espaces architecturaux, à leur transformation dans le temps, ces expériences sont au cœur de cette exposition. Constructions, déconstructions, transformations, squelettes de bâti ou échafaudages d’habitats et d’espaces dans lesquels se créer son propre monde, se perçoivent au gré de l’exploration des salles de ce lieu patrimonial. Le paysage est ici à la fois contemplé de manière frontale autant que vécu. Nous prenons conscience des interactions entre notre corps et l’architecture, de la nécessité de passages, d’ouvertures pour nous évader et être pleinement disponibles, réceptifs à nos sensations.
Mengzhi Zheng nous offre un moment de silence, un temps de pause et d’observation. Il nous convie à respirer, méditer, à nous évader, à rêver. Nos sensations sont activées et tout comme lors d’une promenade ou d’une exploration architecturale. Formes et couleurs pourraient activer de possibles recompositions d’habitats ou d’espaces publics, certains gardés en mémoire, d’autres à venir.
Pauline Lisowski, juin 2022
[1] Emanuele Coccia, Philosophie de la maison, Editions Payot, 2021, p.13
[2] Gilles A. Tiberghien, De la nécessité des cabanes, Editions Bayard, 2019, p.24
[3] Jean-Marc Besse, Habiter Un monde à mon image, Flammarion, 2013, p.10.