Pauline Lisowski : Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Claude Como : En 1992, avec la série consacrée au Test de Zondi, je me posais un certain nombre de questions : est-ce que le monde dans lequel je vis est fou, est-ce la peinture, le sujet ou l’artiste ? À cette époque, Je commence à exposer dans une période critique, de crise mondiale (la guerre du Golfe). Les galeries fermaient les unes après les autres. Je démarre alors un travail artistique interrogeant l’humain.
PL : De quelle manière traites-tu le portrait en peinture ?
CC : Je procède de manière analogique : un œil entraîne un nez, qui entraîne un autre œil, qui entraîne la bouche, puis le contour du sujet. Je termine le tableau par un aplat de couleur uniforme jusqu’à ses limites. Pour cela j’utilise un pinceau très fin, je fais monter mes ombres au bitume. Je suis dans la traduction littérale du sujet photographique, je vais à l’essentiel.
PL : Trois problématiques se dessinent en regardant l’ensemble de ton travail artistique. L’Humanité, la Nature ainsi que l’humanité en relation avec la nature. Comment passes-tu de l’un à l’autre ?
CC : Je suis passée de l’un à l’autre au fil de nombreuses années. Mes premières peintures étaient consacrées au portrait, à l’icône et à ses problématiques. Puis par la suite, j’ai exploré le corps nu, dans l’espace, puis l’intérieur du corps, ses entrailles et par analogie, j’ai abordé, comme une évidence, la structure végétale, son réseau, ses enchevêtrements. À ce moment-là, le paysage n’est pas encore le sujet principal du tableau, le corps s’y imbrique.
Avec la série consacrée aux roses (2000-2002) et Rosacedoce (2004), j’interroge le sujet lui-même, « la rose », je me demande si ma créativité va résister à mille tableaux.
PL : De quelle manière interroges-tu l’espace de la toile ?
CC : Avant tout, la peinture soulève la question de l’espace. Dans mon travail, cela se traduit la plupart du temps par une confrontation d’une figure en volume, découpée dans un espace traité en aplat : du portrait (depuis 1992), jusqu’à mes œuvres touffetées (depuis 2019) en passant par les trophées de la peinture, (2005-2011), par les cataclysmes (2012), le paysage (depuis 2013).
PL : Comment la nature apparait-elle dans tes œuvres picturales ?
CC : De Paris à Marseille, j’aborde les cataclysmes. La peinture est alors en mouvement. Installée à Marseille, je découvre la ligne d’horizon.
PL : Tu explores différentes techniques picturales en fonction des sujets…
CC : Je ne m’impose aucune limite dans ma façon de peindre. Le sujet induit un médium, un geste, un outil.
PL : Tu procèdes par série et sur de longues périodes. Comment passes-tu d’une série à l’autre ?
CC : La plupart du temps la question, le sujet s’impose à moi. Il s’en suit un processus d’exploration méthodique et méticuleux jusqu’à son épuisement. Une fois que j’ai tout décortiqué, que le sujet est épuisé, je passe naturellement à autre chose.
PL : Certaines de tes œuvres tendent vers l’abstraction tout en laissant des indices perceptibles de structures afin que le paysage se donne à voir. De quelle façon se manifeste cette démarche ?
CC : Mon corps tout entier est en action lorsque je travaille les grands paysages. Je procède par effacement et fais surgir le blanc de la toile afin de révéler la lumière structurant le tableau.
PL : Tes peintures interrogent la disparition de la nature et sa régénérescence… Pourrais-tu préciser ta vision de la nature et d’où elle provient ?
CC : Je suis dans un rapport contemplatif à la nature depuis mon enfance. J’ai grandi en Côte d’Ivoire, au milieu d’une nature puissante, vierge, luxuriante, envahissante, et parfois inquiétante.
PL : Récemment, tu pratiques le tufting… Quelle est ta première rencontre avec ce médium ?
CC : Après Gaia, 2018-2019, j’avais un besoin de revenir à ces sensations d’immersion liées à mon enfance. Le tufting s’est imposé de manière évidente pour traduire au mieux ces réminiscences.
PL : Cette technique t’amène à travailler autrement la peinture… De quelle manière ?
CC : J’interroge la nature sur sa régénérescence, sa prolifération. Avec la laine, elle devient envahissante, tactile, viscérale. Les formes découpées sont libres, accrochées au mur, l’œuvre est illimitée. Je m’émancipe alors du châssis.
PL : Le tufting te permet également de créer des œuvres monumentales et de sortir du cadre…
CC : À travers mes œuvres en laine touffetée, je me laisse dépasser par une nature qui reprendrait ses droits sur l’architecture.