Cet été où les jardins nous offrent, après ces longs mois de fermeture, leur éclat et leur richesse floristique, le parc du château de Chavaniac Lafayette se pare d’une exposition d’œuvres créées pour celui-ci. « Végétal » réunit trois artistes qui ont chacun répondu à un appel à projet pour concevoir une installation ou une sculpture en relation avec le thème du végétal. Les plantes, les arbres, l’univers de la botanique furent de tout temps une des préoccupations des propriétaires du domaine de ce château au cœur du Massif Central. Au départ, l’association « Jardins fruités » organisait une fête des plantes dans ce parc, trait d’union entre le château et le Conservatoire Botanique National du Massif Central. Avec ce volet artistique, cette association souhaite donner la parole aux artistes invités à transmettre leur vision du végétal aussi bien avec un axe sensible, esthétique que plus engagé.
Suite à la visite du château de l’illustre général Lafayette, nous sommes conviés à parcourir le parc qui fut au début du XXe siècle réagencé par John Moffat, Président du Mémorial américain. Celui-ci a pris soin d’y aménager des petits jardins particuliers, aux diverses influences géographiques et historiques, un « jardin anglais », un jardin de rocaille, une roseraie. Ce parc porte désormais le label « jardin remarquable ».
C’est tout d’abord l’installation conçue avec des végétaux de Myriam Roux qui attire notre regard. L’artiste a récolté bois et herbes pour construire Zygodons. Par son délicat savoir-faire de tressage et d’assemblage de plantes, elle propose une œuvre qui sollicite notre envie de cheminer et de la traverser. Or, il s’agit pour l’artiste d’évoquer la préservation de l’espèce de mousse « Zygodon foresteri », actuellement en danger suite à l’entretien trop important de nos forêts. A travers cette installation à l’échelle du site, elle tend à nous faire prendre conscience de l’importance de ces végétaux. Zygodons exprime le développement de cette espèce menacée, ce que traduit sa présence en ce lieu. On prend plaisir à la contempler en s’interrogeant sur la forme dessinée et sur son développement possible. Cependant, il est nécessaire de lire les propos de l’artiste pour saisir la pertinence écologique de sa recherche.
Plus loin, à proximité d’un arbre, la sculpture de l’artiste américaine Taylor Smith évolue avec la saison estivale. Study for Morphogenesis : Bryoflore, son titre l’indique, a pour point de départ l’observation de la structure microscopique de deux espèces de bryoflore remarquables, Orthotrichum rogeri et Dicranum virid, qui se trouvent notamment dans le Massif Central mais dont on n’a pas trouvé d’échantillons dans le jardin du château. A première vue, cette œuvre ressemble à un arbre dont les feuilles seraient en attente de tomber ou de se regénérer. Nous nous imaginons quelle essence y fait référence. Il faut attendre quelques semaines pour voir son évolution : la sculpture composée de mycélium, qui pousse sur les morceaux de bois et de déchets agricoles, au sein de moules accueille progressivement des espèces de mousses, de lichens, de champignons et d’autres espèces locales. Taylor Smith, avec cette œuvre, laisse faire la nature et le temps influer sur l’évolution de celle-ci ainsi que sur sa métamorphose. Elle favorise l’apparition d’une biodiversité, témoin de la richesse botanique du Massif Central. Sa sculpture est une ode aux espèces végétales natives de la région et à l’influence des bonnes conditions environnementales pour l’apparition de végétaux endémiques.
La dernière œuvre est une installation de Jonathan Bernard composée de trois pièces dont la forme et l’élan rappellent les espèces de la famille des Crassulaceae. Celle-ci s’impose avec toute sa présence, tels trois êtres en mouvement, en équilibre et en état de vaciller, tentant de résister. L’artiste les a composés à partir d’un ensemble de volumes de même forme suggérant la structure répétitive des végétaux. Pour l’artiste, ces trois sculptures évoquent les enjeux liés au réchauffement climatique. Par leur apparence monumentale, visibles de loin, captant la lumière et leur dessin dans l’espace, elles nous invitent à porter notre attention sur le monde végétal en transformation. Notre promenade est ainsi troublée par la présence de ces espèces façonnées de telle sorte qu’elles suscitent l’étonnement.
Cette exposition nous offre l’occasion de parcourir le domaine de Chavaniac-Lafayette avec un regard curieux et centré sur ce que les œuvres ont a nous offrir comme réflexion et expérience esthétique. D’une facture et d’une approche très différente, les œuvres créées pour l’occasion sont faites pour être vues de loin et ce n’est qu’en s’approchant qu’on tente alors de desceller leur enjeu, propos de l’artiste, sensible à l’environnement et au lieu qui l’accueille. Cet été, quoi de plus réjouissant que de parcourir les jardins à la découverte de créations artistiques. La visite des sites historiques est devenue une occasion bien courante de s’ouvrir à l’art contemporain. Les artistes nous montrent leur goût pour l’expérimentation de matériaux naturels et leur souhait de nous inciter à regarder avec attention notre monde et les végétaux, témoins de sa transformation.
Study for Morphogenesis de Taylor Smith