Hermine Anthoine, Dérives – così naturale

Attentive aux formes que crée la nature ainsi qu’aux cycles des saisons toujours renouvelées, Hermine Anthoine extrait des éléments afin de les transposer dans le champ de la sculpture. Elle emploie des matériaux tels que la terre ou le bronze et utilise des techniques qui nécessitent du temps, de la précision pour rendre pérennes les fragments qu’elle recueille tout en conservant leur fragilité. Ces étapes de formalisation relèvent d’une patience semblable à celle du jardinier. Fascinée par les éléments de la nature prodigieuse et la justesse des formes que les outils du monde agricole incarnent, l’artiste façonne des pièces qu’elle constitue en série tout en préservant l’unicité de chacune. Ses œuvres, telles des natures mortes, teintées parfois d’un certain humour, incarnent la mémoire de formes ou d’états de la matière. Elles expriment à la fois la permanence des rythmes, la morphologie des paysages et le soin porté au renouvellement, aux transformations des éléments.

Au mur, sur un tissu de léger velours arborant des motifs floraux, ses Feuillicifictions, sculptures en bronze représentant des feuilles mortes, captent la lumière et sont comme en suspens. Les feuilles ont été préservées, maintenues dans leurs formes froissées originelles. Elles composent une envolée dont le dessin fige une musicalité, une écriture, à l’instar de notes sur une partition. Cette installation, telle une nature morte contemporaine, manifeste une certaine permanence.

Notre regard est ensuite emmené vers Total eclipse of the sun, une cage sphérique en fer suspendue, dans laquelle des sculptures d’oiseaux en terre modelée, découpées aux ciseaux sont enchevêtrées les unes les autres puis disposées à la périphérie. Les formes acérées, en tension, s’imbriquent dans un équilibre aux limites de la rupture. Cette œuvre suggère un monde, un cosmos qui recueille ou protège, tout en maintenant enfermés des animaux domestiqués qui semblent à la dérive. Ils ont échoué ensemble dans cette sorte d’abri, une volière sculptée par l’artiste.

Double faux s’ajoute à cette scène d’œuvres entre objet et nature et rappelle un outil rural familier. En ôtant le manche, Hermine Anthoine transforme sa fonctionnalité et crée une installation dont les ombres portées font apparaître des ailes d’oiseaux stylisées, des silhouettes souriantes, dessinant dans l’espace un paysage aérien ambigu, présage de mort et d’un envol. Les objets tranchants de la vie des champs, ici parfois trois fois plus grands que ceux d’origine, glissent vers une fiction, une dramaturgie.

Dans la continuité d’expériences de transposition de formes et de relations en miroir, ses Montagne(s) analogue(s) sont nées de souvenirs de son enfance. L’artiste s’est attachée à cet élément immuable du paysage qui suscite l’émerveillement, convoque le refuge, l’ascension, l’inaccessible, tout en suggérant le reflet, l’insaisissable, l’invisible, un questionnement sur son négatif dissimulé, sa racine profonde. Ses sculptures nous font songer aux icebergs, parties cachées flottantes, souterraines, plus importantes que celles apparentes. Leur traitement coloré – par engobe – évoque les peintures de montagne, motif qui n’a cessé de nourrir l’imaginaire artistique. Hermine Anthoine, dans la lignée des Romantiques allemands, modèle à son tour un répertoire de montagnes imaginaires.

Au sol, une ancre en acier poli-miroir, constitue l’accroche d’un ballon d’hélium. Ensemble ils réverbèrent l’espace de la galerie et les œuvres, simplement et presque si naturellement. Così naturale, de sa touche fugitive, met en boucle la scénographie conçue par l’artiste. Se détourner du cours de la réalité pour donner une autre perception nous permet de mieux l’appréhender : telle est la pensée véhiculée par ses œuvres.

Les sculptures et installations d’Hermine Anthoine découlent de la réalité tant par dissonance qu’assonance. Elles jouent sur les miroitements, l’ancrage et la mobilité. Celles-ci renvoient à des formes naturelles qui marquent un héritage commun. Leurs éléments familiers font écho à un attachement au vivant et au désir humain d’emprise sur le réel. L’artiste associe des observations pragmatiques du monde aux croyances souvent païennes du milieu rural.

Ses pièces invitent ainsi à porter un autre regard vers un monde tout aussi poétique que fragile. Elles composent de possibles situations et créent une impression d’un monde mouvant.

Pauline Lisowski

Texte publié dans le cadre de l’exposition d’Hermine Antoine, galerie Eko Sato, 27 février – 27 mars 2021