Les notions d’équilibre, de force et de fragilité guident les créations de Julia Gault. Ses œuvres renvoient à la puissance des phénomènes naturels et portent-elles la possibilité d’un basculement, d’un effondrement. Pour son exposition personnelle « Onde de submersion », elle présente un ensemble de nouvelles œuvres qui se résonnent entre elles et sollicitent un aller-retour entre intérieur et extérieur.
Pauline Lisowski : De quelle manière convoques-tu la notion d’instabilité dans ton processus créatif ?
Julia Gault : Je m’intéresse au désir de l’homme de bâtir des architectures toujours plus hautes, de vouloir contrôler la matière, dans une ambition de démesure et d’éternité. Je suis habitée par cette sensation d’un monde actuel qui vacille de plus en plus, mis à mal par les forces de la nature qui poussent ces formes vers un délitement et un effondrement certain. C’est ici que la notion d’instabilité prend tout son sens dans mon travail plastique. C’est ce moment de tension où la forme se tient avec fragilité et où l’on sent que tout peut basculer que je cherche à exprimer au travers de mes pièces.
PL : Tes œuvres nous invitent à observer ce qu’habituellement nous ne regardons pas. Quelle relation à la nature proposes-tu au travers de celles-ci ?
JG : Dans mes pièces il y a souvent cette dualité entre des questions de construction et une nature forte, indomptable et dont les notions de mouvement et de cycle sont importantes. La série Mémoires de failles est née suite à ma découverte de nombreuses fissures de bâtiments proches de l’insalubrité, dans les quartiers proches de mon atelier. Mes empreintes révèlent ces vides dans les murs qui sont des traces du mouvement inéluctable de la matière, qui renvoient à des formes organiques, aléatoires, hasardeuses. De plus, la terre est mon matériau de prédilection. Je l’utilise à la fois crue, cuite et vivante. J’aime sa fragilité, sa porosité, son poids, son passage si rapide de la forme à l’informité mais aussi sa relation intime à l’horizontalité. Bien que jamais figuré, mon corps est toujours présent en négatif dans mes sculptures. Eprouver mon corps en ayant un rapport physique à la matière est primordial. Cette idée de cycle de la nature m’importe beaucoup et je cherche à créer le moins d’impact possible sur le paysage. De fait, j’utilise une terre vivante que je récolte en forêt, qui tient, vit et à la fin de l’exposition, je la remets dans son environnement. Ce geste artistique préserve la vie de la matière.
PL : Le temps et la transformation, traversent tes créations. De quelle manière considères-tu la possibilité d’une vie de l’œuvre d’art ?
JG : Deux œuvres de l’exposition, La fin de la colonne et Hors sol sont vouées à s’effondrer. Celles-ci ont deux vies, une debout et l’autre effondrée. Elles présentent toutes les deux une tension dans leur matérialité entre la tenue et la chute. L’une par l’empilement de sacs à gravât remplis de sable à maçonner pour créer une vaine colonne, et l’autre une arche architecturale en terre crue installée dans le jardin de l’Espace d’Art Contemporain Camille Lambert, la pluie joue alors un rôle destructeur. C’est cette tension dans la forme précaire qui laisse émaner une certaine énergie.
PL : Comment as-tu pensé la circulation et les liens entre les œuvres dans cette exposition ?
JG : J’ai voulu proposer une boucle entre les œuvres exposées. L’installation Où le désert rencontrera la pluie est le pivot central. Puis vient la notion d’architecture avec La fin de la colonne et les pièces Tout s’écoule et rien ne reste et Mémoire de failles. La vidéo Point de rupture parle de l’attente de l’évènement et de notre fascination face aux formes hautes du paysage fixes qui soudain cèdent et se transforment en fluidité. L’arche à l’extérieur, en terre de faïence crue donne ainsi les clefs et permet de relier l’ensemble des pièces.
PL : C’est la première fois que tu crée une pièce pour l’extérieur. Comment as-tu pensé celle-ci en relation avec le jardin ?
JG : La topographie m’a guidé pour penser Hors sol, la pente du sol me rappelait celles sur lesquelles sont construites les favelas de Rio de Janeiro. J’ai souhaité créer un trouble entre cette sculpture qui rejoue une forme d’arche architecturale et son matériau, incompatible avec les intempéries extérieures.
PL : Une tension entre force et fragilité est présente dans l’ensemble de tes œuvres. Quelles relations proposes-tu entre la puissance de l’architecture et celle de la nature ?
JG : J’ai choisis Onde de submersion comme titre de l’exposition parce qu’il est question dans sa définition de cette tension entre force et fragilité. L’onde de submersion est la vague destructrice qui est produite par la rupture d’un barrage. Je porte mon attention sur l’ambiguïté du barrage, cette construction humaine pensée pour contraindre et contrôler cet élément naturel puissant qu’est l’eau. L’installation Où le désert rencontrera la pluie se compose de différents contenants d’eau que j’ai moulée puis tiré en terre de faïence séchée mais restée crue. L’idée était de parler de cette impossibilité de contenir cet élément naturel, de l’endiguer. Ces objets ne sont plus fonctionnels, car remplis d’eau, la terre se ré humidifie, la forme se fissure et s’effondre. Je mets en évidence l’eau, pour sa fluidité, son informité, son mouvement permanent, cet élément naturel qui crée des fragilités dans le paysage et dans les constructions. Ces contenants sont disposés sur des étagères en acier, qui dessinent une grille. Cette structure symbolise ici la rigueur humaine, la volonté de contrôle, l’ordre. Ces étagères en caillebotis reprennent également la notion de fractale, de module architectural et renvoient à la ville.
PL : Tes sculptures et installations ne sont-elles pas une manière pour toi de dessiner dans l’espace ?
JG : Dans cette installation justement, ces étagères dessinent dans l’espace une grille rigoureuse qui se déploie horizontalement et verticalement. Dans les autres œuvres qui convoquent des éléments architecturaux, des obliques forment une posture d’entre-deux.
PL : Quelles sont les formes d’architectures et les formations naturelles qui t’inspirent pour créer ?
JG : Je m’inspire de la manière dont se créent les fragilités des formes du paysage naturel et comment agit une nature puissante qui vient mettre à mal les édifications humaines. Par ailleurs, les gestes de construction et les formes architecturales composent mon vocabulaire de création. Lorsque je sculpte, j’expérimente des systèmes pour construire ma forme de manière plutôt spontanée. Je teste la relation entre les matériaux, leur tension, leur dialogue et j’observe la tenue de la sculpture dans le temps, des gestes qui relèvent très souvent du bricolage. Ce sont ces systèmes de construction que j’observe, puis que je m’approprie dans des mises en forme précaire, qui font qu’à tout moment tout peut basculer.
Entretien réalisé par Pauline Lisowski © 2018 Point contemporain
publié à l’occasion de l’exposition « Onde de submersion » à l’Espace d’art contemporain Camille Lambert, visible jusqu’au 23 février 2018