Les peintures de Yann Lacroix, composées de strates et de couches de peintures font apparaître des espaces oniriques, entre intérieur et extérieur. L’artiste travaille à partir d’une banque d’images, ces propres photographies prises durant ses voyages et d’autres trouvées sur internet pour leur potentiel pictural. Ses toiles présentent des manques, des trous qui troublent notre perception. Un mystère persiste. Pour lui, « la peinture est un jeu d’investigation ». Ses œuvres proposent des arrêts sur image, quasi cinématographiques et sont ouvertes à de multiple interprétations, à des récits tout en laissant venir des souvenirs de paysages. Les tentatives, les erreurs et les traces d’anciens gestes transparaissent. Ses peintures contiennent la mémoire des différentes étapes de travail et témoignent des marques du temps de réalisation.
Yann Lacroix investit le Centre d’art contemporain Les églises en prenant un parti pris radical quant à l’accrochage de ses toiles. Ses peintures sont installées de façon à former une palissade, et la structure la tenant à l'arrière fait écho à la charpente du bâtiment. Ce qui rend visible l’envers du décor. Les plus curieux sont d’ailleurs incités à aller voir derrière. « Dans sa forme, la palissade renvoie au mur, à la clôture, celle qui entoure un jardin, celle qui délimite un lieu. » explique l’artiste. Ses toiles jouent sur les processus d’apparition et de disparition, par jeux de transparence et de lumière. Elles nécessitent un temps de regard, de contemplation, notre déplacement, pour découvrir les éléments cachés par les divers jus de peinture. La toile représentant un ciel nous guide vers l’espace plus lumineux de l’église. Ses œuvres picturales nous amènent à songer aux fresques, autant pour les lieux auxquelles elles sont rattachées que pour les strates temporelles qu’elles incarnent. Leurs usures et aspérités renvoient, pour l’artiste, à son processus de travail, effacement, recouvrement, frottement de certaines parties du tableau.
Plus loin, des petites toiles installées en rythme présentent des vues de ville et s’apparentent à des fenêtres ouvertes sur le paysage. Sur un mur en bois, ses œuvres plus discrètes laissent perceptible la puissance architecturale de ce lieu et répondent aux fenêtres ouvertes sur l’environnement extérieur. Au fond, sa peinture représentant un pommier attire notre regard et répond à la végétation extérieure. Les fruits sont traités en détail et le fond est quasi flou, ce qui convoque l'adaptation de notre regard pour prêter attention à la nature. « Jouer avec le flou et le détail ou entre les éléments plus palpables et les transparences met en exergue la temporalité de la réalisation. La mémoire du tableau lui-même. Cela renvoie également et sans doute à la mémoire de la peinture, à son histoire dans laquelle je puise également et qui est très dense. Je creuse dans cette histoire et je cherche celle-ci d'une certaine façon dans mes tableaux. » précise l’artiste peintre. Cette toile fait appel à l’histoire des jardins de cloîtres ou au jardin originel. Le changement de focal nous invite à nous interroger sur notre propre perception et nous incite à imaginer la suite d’une histoire, le hors-champ de l’espace pictural.
Les œuvres de Yann Lacroix recomposent l’architecture et créent un chemin vers la lumière. Des reflets du soleil ponctuent le sol selon les moments de la journée. L’artiste propose un cheminement à la découverte de paysages. Dans cet ancien lieu spirituel, ses peintures nous incitent à méditer et à réfléchir à nos comportements avec la nature. Elles nous conduisent à songer à des souvenirs de voyages ainsi qu’à prendre le temps d’être présent au monde. Des liens s’établissent également entre l’idée de jardin clos et celle de paradis perdu. Le jardin, hétérotopie selon Michel Foucault, est le lieu où l’on recrée un paysage construit pour nous emmener ailleurs. Cette volonté et cette attitude nous dissipent de notre attention au réel et nous amène à questionner notre présence au monde, un état d’esprit qui renvoie à la fragilité de notre existence, selon l'artiste. Cette exposition est ainsi l’espace d’une rencontre avec une nature façonnée par l’homme, maîtrisée et qui nous permet de raccrocher à des lieux où l’on se projette une certaine vision d’un monde idéalisé construit afin d’y associer des récits et symboles.
Pauline Lisowski
Exposition au centre d'art les églises, Chelles
visite sur rdv pour les professionnelle jusqu'au 16 avril 2021
Suite aux annonces gouvernementales, le centre d’art est fermé au public jusqu’à nouvel ordre. Vous êtes professionnels (artistes, enseignants, critiques, commissaires, historiens, journalistes …
https://www.chelles.fr/chelles-a-vivre/culture/les-eglises-centre-dart/
vue de l'exposition, crédit photo : Aurélien Giraudet