Guillaume Krattinger développe un travail plastique sur la perception des paysages. Il explore les lieux abandonnés, les périphéries, les déchets et la nature qui résiste et envahit parfois l’architecture, des espaces qui témoignent de l’état du monde, d’une histoire qui laisse des marques. Un moment, une lumière, des « matières chargées de sens », l’incitent à appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo. Il s’attache à révéler ce qui est caché. L’image nécessite une attention particulière et se livre par étapes, conduisant le visiteur à prendre le temps de se déplacer.
Ses photographies en noir et blanc présentent des textures, des traces, des matériaux, un vocabulaire de signes qu’il observe durant des situations dont il est témoin. Guillaume Krattinger offre des possibilités de regarder différemment les images, et propose, à travers cette démarche, une expérience plus émotionnelle/perceptive/ressentie de la photographie. Il cherche à ce que le médium et le dispositif résonnent en harmonie avec ce qui habite l’image. Les photographies de sa série intitulée Fantômes sont légèrement ondulées, prenant leur place dans l’épaisseur du cadre. Ce qui incite le spectateur à se déplacer pour les saisir en entier. Elles tendent vers la sculpture, impliquent un déplacement et une multiplicité des points de vue. Elles semblent également vibrer et suggèrent d’autant plus des apparitions à venir. Dans deux autres photographies, ambrotypes, Guillaume Krattinger a capté la lumière qui révèle un arbre, pris dans un mouvement. Il affirme d’ailleurs : « ce qui nous entoure renferme et laisse échapper des agencements de formes aux allures loquaces, des sculptures latentes, des signes. Tout se joue à cet instant, dans l’interprétation du monde, là où l’œil métamorphose le réel. » Ses photographies contiennent du temps, la possibilité d’un changement et d’une métamorphose.
Cette volonté de suggérer une animation dans ses images, une énergie des éléments se retrouve dans ses sculptures. Au sol, Arrêter les vagues, réalisée en plâtre vernis noir, n’a pas fini de se laisser découvrir en fonction de notre déplacement et des rayons de lumière qui jouent avec les vides et les pleins. Cette sculpture évoque un bouillonnement, un phénomène naturel, en attente. Son titre renvoie à une tentative quasi absurde de vouloir maîtriser la force des éléments de la nature.
Suspendue à hauteur du regard du spectateur, la sculpture Raffinerie incite à s'interroger sur ses matériaux. L'artiste cherche à troubler le spectateur. Il l'oblige à tourner autour de l’œuvre pour y percer ses mystères. Cette pièce fonctionne comme un dispositif de vision, dans lequel se révélerait un autre univers.
Guillaume Krattinger expérimente également diverses techniques de travail du verre pour interroger le mécanisme de la vision. Il met en tension le plein et le vide, le contenu et le contenant. Ses pièces sont composées d'une forme de tuyau qui semble à la fois rentrer et sortir de son globe. Les tubes, par trois, font penser à la fois à un outil de perception et à une forme de vie interne. Le vide permet au spectateur d’y projeter des images et de l’incarner. Une de ses sculptures est d’ailleurs face à Vision intérieure, un bois sculpté, vernis de noir semblable à un miroir dans lequel s’évader dans ses pensées, et interagit avec elle. Cette œuvre prend la lumière et mène à un ailleurs.
Ces pièces l’ont conduit à développer une sculpture en verre qui s’apparente à une sorte de machine. Trois tuyaux de verre, fixés à deux supports, appellent à leur mouvement et à l’écoulement d’un flux. Cette œuvre incarne la puissance d’une transformation d’une matière, d’un état à un autre. Deux photographies lui font d’ailleurs écho, l’une montre des traces d’un passage, des dessins, rainures sur un sol mou tandis que l’autre présente une forme circulaire, un trou noir qui inspire vers le vide… Ces deux photographies amènent le spectateur à se laisser absorber par les formes, l'intensité de contrastes de lumière et à s’imaginer des paysages.
Ainsi, de la photographie à la sculpture, Guillaume Krattinger nous convie à faire travailler notre regard. Ses œuvres renvoient à une tentative de comprendre notre environnement.
Pauline Lisowski
Arrêter les vagues, une exposition de Guillaume Krattinger à découvrir absolument jusqu'au 11 novembre à la Frontiera, Paris.
Arrêter les vagues, , 2017 Bois, polystyrène, plâtre vernis et margelle en chêne 135 x 135 cm, copyright : Emilie Mathé-Nicolas
La Frontiera, espace artistique à Paris
La frontiera, espace artistique à Paris au 11, rue Jules Chaplain dans le 6ème arrondissement.