Pour terminer la saison artistique du cycle White Mirror (en référence au black mirror, l’écran du téléphone), Garance Chabert a invité cet été IOP (It’s Our Playground), duo d’artistes français composé de Camille le Houezec et Jocelyn Villemont à occuper la Villa du parc. Pour elle, cette saison est dans la continuité de ses recherches sur les artistes iconographes. La directrice du centre d’art précise qu’« à la Villa, la question du parcours est centrale. Celle du domestique est souvent un enjeu »[1]. Cela a d’ailleurs orienté les artistes dans leur projet.
Quel est notre rapport à la technologie ? De quelle manière les œuvres peuvent nous raconter des questionnements sur notre société actuelle ? Comment l’apprentissage change avec les techniques ? IOP, artistes, aussi commissaires d’exposition, s’intéresse au mécanisme de la mémoire, des sens, de l’attention et proposent des dispositifs propices à des expériences et au surgissement d’images. Les technologies sont ici abordées par le sensible.
En prélude à l’exposition, l’œuvre de Sarah Margnetti crée un lien avec l’extérieur et avec l’exposition. Un œil monumental, se fond à travers un store de couleur jaune. Cette peinture murale, trompe l’œil convoque la notion de double vision et renvoie au store réel installé par les artistes. Cette œuvre nous ouvre la voie vers le cheminement proposé, une étape pour appréhender les différents espaces, étapes d’apprentissage.
La Villa du parc fut un lieu habité et la proposition d’IOP répond à son ancien usage. « Le parcours a été pensé en fonction des différents stades de la vie d'un humain »[2], précisent les artistes. Première étape de la vie, l’enfance où nous pouvons découvrir ici des lits fabriqués avec une plaque de linogravure avec sur chacun une fleur qui rappelle un prénom d’enfant. Des objets moulés rappellent les jouets qui imitent les objets électroniques. Des questions de manipulation, des interrogations sur ces objets et sur une potentielle présence surgissent.
Puis, un tutoriel vidéo nous invite à prendre le temps de nous asseoir et de découvrir comment apprendre à dessiner avec du pastel sec. La maman de Jocelyn Villemont inverse les couleurs et nous montre sa technique. La vidéo fait écho au développement des tuturiels diffusés sur internet, qui permettent une initiation d’autant plus rapide.
Nous parcourons les salles en nous interrogeant sur l’origine des œuvres, du geste à la technique. Les artistes privilégient une désacralisation du socle et de la peinture. Des bottes de paille servent de support et d’assise. Des peintures à l’huile qui ponctuent les murs représentent des traces de doigts sur un possible écran. Les sculptures réalisées à partir de matériaux modestes suggèrent d’étranges objets. Écrans grossis, jouets grotesques, ces œuvres convoquent un certain humour.
Generative spirits renvoie à la chambre d’adolescent, là où des images aux murs font écho aux affiches qui constituent un univers, des références, une personnalité. Ici, les images furent créées à l’aide d’un algorithme. Cette œuvre fait appel au flux d’images qui circulent de façon rapide. Au sol, un ciel bleu répété provoque une perte de repères, un potentiel vertige : une référence au mot « Cloud », qui signifie ciel et correspond à l’endroit où on stocke des données.
D’une salle à l’autre, les œuvres se répondent. Trois dessins au pastel, à même le mur, furent demandés à des étudiants de l’école d’art d’Annecy, où les artistes enseignent. Ils ont réinterprété celui proposé dans le tutoriel vidéo. Sur ceux-ci sont superposés des filtres colorés, conçus par Christophe Scarpa, qui modifient ainsi l’œuvre, la cachent tout en la révélant. Ces œuvres font écho au tournesol, cette plante qui bouge en fonction du soleil.
La Dollhouse constitue une maquette de la villa du parc. Elle condense les éléments de l’exposition, tel un résumé de celle-ci. Nous y retrouvons des éléments, indices de l’exposition, tel un bouquet de fleurs.
Les artistes ont choisi de travailler sur une présence forte des couleurs pour inciter le visiteur à faire un parcours de la vie, étape par étape. Ils accordent une importance à la photogénie de l’exposition. Quelle image va-t-il rester de celle-ci ? Les couleurs utilisées, le jaune et le bleu, pour la scénographie font référence à la vidéo, pièce centrale de l'exposition. Le bleu en soubassement au rez-de-chaussée renvoie à la couleur des tournesols du tutoriel vidéo et le jaune haut-dessus de la ligne d'horizon fait écho au ciel à l'étage supérieur. Si le titre de l’exposition peut de prime abord suggérer un lien avec les technologies, ici les œuvres nous proposent de redécouvrir notre rapport aux machines et à la technique. « Chaque geste effectué par la machine a d'abord été pensé, conceptualisé ou commandé par un humain, nous ne faisons pas vraiment de différence dans l'appréciation entre geste réel et geste effectué par la machine. Peu de geste dans l'exposition ont d'ailleurs été exécuté par des machines (seuls les posters ont été conçus et imprimés via l'ordinateur et l'imprimante), la vidéo tournée et montée via des appareils électriques. La machine est utilisée afin d'obtenir un rendu que nous ne pourrions achever à la main et nous la considérons comme une extension de notre atelier. »[3] précisent les artistes.
Au fil de la visite, des textes sont disposés, accrochés sur des supports pour être lus et détachés pour être emportés avec soi. Les visiteurs peuvent les prendre et alors constituer leur propre catalogue de l’exposition. Ces récits, écrits par Owen Piper peuvent être aussi mis en perspective avec les œuvres exposées. A nouveau, le visiteur est incité à faire travailler sa mémoire, à prendre plaisir à créer des liens entre les images, les objets et ce qu’il lit.
L’idée de nature traverse l’exposition à la fois dans les œuvres et dans la scénographie. Ce qui nous ramène au réel, au contact physique, au geste, à l’importance de l’expérience, à ce que nous disent nos sens.
Ainsi, cette exposition convoque les notions d’enseignement, de transmission, de souvenir et donne une place au DO IT yourself. IOP occupe le rôle d’intermédiaires en invitant différents collaborateurs de divers horizons à interpréter des images, des protocoles. Ici, des liens s’opèrent entre la main de l’homme et les mécanismes des machines. Les artistes nous amènent à changer notre regard sur notre rapport à celles-ci.
Pauline Lisowski
ELLE DISAIT BONJOUR AUX MACHINES
» People say that we create technologies which alienate us, but the fact is that anything made by humans is a de facto expression of humanity. » Basar/Coupland/Obrist, The Age of Earthquakes, A …
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Vue d'exposition, crédit photo : Aurélien Mole