Profondément animée par ses expériences au contact des éléments naturels, Tatjana Labossiere a commencé la sculpture par l’apprentissage de la taille de pierre. Puis, avec l’acier, elle expérimente d’autres gestes et entre dans une douce lutte avec son matériau vigoureux afin de lui insuffler une légèreté.
Les formes de ses sculptures incarnent une tension entre solidité et instabilité. Les rencontres et associations de volumes géométriques présentent un écart, une ouverture, nous faisant penser à un mouvement, à un impact. Nous pouvons songer à des catastrophes, à des effondrements, à des phénomènes qui témoignent de l’influence de la construction sur les paysages. Une certaine énergie extérieure semble créer ce basculement, ce détachement. L’équilibre ne tiendrait qu’à un fil. Un léger creux, un petit élément inséré entre ces formes naturelles pourrait perturber leur organisation, leur immobilité. Présente parfois avec parcimonie, en contraste avec l’acier poli d’un noir lumineux, la couleur souligne un possible déplacement, un glissement (Totem I et II).
Les dynamiques des quatre éléments l’inspirent et influent sur son travail d’artiste et son usage des matériaux. Parfois, elle s’évertue à modifier les possibilités qu’offre son matériau et tend avec patience à l’amener vers des mouvements organiques. Pour certaines œuvres, Tatjana Labossiere choisit le laiton, matière qui présente une patine et des nuances créées par les traces de l’eau. Dans des états quasi en suspens, ses sculptures peuvent nous faire songer à la fragilisation des montagnes et autres milieux altérés par le bouleversement climatique. Une sortie du cadre et un décalage provoquent une interaction et semblent perturber un certain ordre établi. Toi et Moi I, où deux parallélépipèdes rectangles tiennent en équilibre, peut notamment nous inspirer des relations, un soutien nécessaire, une présence qui s’accorde avec l’autre. Des lignes traversent les pierres et suivent d’autres volumes, un chemin témoin du temps géologique dans certaines sculptures.
Plus récemment, elle transpose sa pratique de sculpteur dans un travail où elle associe création de formes sculptées et technique de l’estampe. D’un geste spontané, Tatjana Labossiere associe des formes sculptées dans du carton, puis d’une impression, d’une autre, une composition se crée. Par des jeux de déplacement, de superposition de matrices rugueuses et de transparence, ses œuvres sur papier nous invitent à se laisser transporter dans différents espaces colorés. Les couleurs renvoient à des sensations éprouvées durant des longs moments d’observation de la nature. Ces encres sur papier révèlent le passage de la lumière et sa rencontre avec des végétaux ou des minéraux. Elles suggèrent des relations au sein des écosystèmes. On peut voir chez certaines, des facettes de minéraux, observées sous différents points de vue. Parfois, des feuilles laissent leurs empreintes, mémoire d’un changement d’état. Tels des fragments récoltés et transformés par les variations météorologiques, ou en fin de floraison, celles-ci apparaissent sous un nouveau jour. Ces œuvres sur papier nous invitent autant à regarder à la loupe qu’à s’immerger dans un univers cosmique. Nous pouvons nous remémorer des souvenirs d’instants à méditer : des expériences propices à un voyage intérieur et à une prise de conscience de la fragilité du vivant. L’artiste a approfondi récemment son travail sur les nuances colorées en expérimentant l’indigo, couleur naturelle.
Ainsi, Tatjana Labossiere fait confiance en sa mémoire des formes et des couleurs du minéral, du végétal, de tout élément naturel qu’elle observe au quotidien dans le jardin de son atelier. Ses gestes de sculpteur l’amènent à restaurer des sensations vécues et à se sentir d’autant plus ancrée, enracinée parmi les vivants, au cœur d’un grand tout.
Pauline Lisowski, juin 2024