L’exposition « Une brève histoire des lignes » présente un regard original sur la pratique du dessin et du tracé de 1925 à nos jours. On pourrait s’attendre à une exposition aux oeuvres
majoritairement graphiques, mais on remarque que les lignes sont partout, même là où il faut les imaginer, dans le paysage, la photographie, dans le corps… Nous découvrons un paysage de lignes
dans des univers très différents et qui fait souvent place au corps et au déplacement. Dessiner une ligne, c’est d’abord un geste et celui-ci se marque sur des cartes, des pages blanches support
d’écritures…. L’exposition s’inspire de l’ouvrage éponyme de l’anthropologue Tim Ingold qui part du postulat qu’une « étude des hommes et des choses est une étude des lignes dont ils sont
faits ». Ainsi, parcourant l’exposition, on se prend à être cet anthropologue qui part à la rencontre de la ligne dans tous ses états.
Le parcours de l’exposition thématique met en avant les différents rapports que les artistes entretiennent avec la ligne, dessinée, marchée, tissée, photographiée ou simplement remarquée.
La première section présente un premier regard historique et typologique. La ligne est un élément majeur pour les artistes. De la ligne de Kandinsky, à la ligne minimale géométrique, en passant
par des oeuvres plus sensibles gestuelles jusqu’à des installations proprement conceptuelles, les artistes y trouvent une grande diversité de moyens d’expression. Parmis, les tenants de la ligne
minimale, on peut remarquer le travail de Karel Malich, de Stanislav Kalibal et d’Agnes Martin. Dans la continuité de ces travaux graphiques, l’installation de François Morellet constitue une
transition marquante vers les oeuvres plus sensibles de Lee Ufan.
La deuxième section intitulée « Le geste cheminatoire » tire son titre de l’expression du philosophe et historien Michel de Certeau. Elle réunie des oeuvres où le mouvement et la ligne produite ne
font qu’un. La ligne peut être une simple trace dans le paysage, trace blanche qui restitue une marche. Les dessins de Julie Knifer d’un fond noir profond laissent apparaître une trace fine
blanche. Ils sont montrés en parfait écho avec les dessins de Klaus Rinke. Cet artiste s’intéresse au temps, aux aller-retour et le dessin constitue la trace même de cet aller et retour du crayon
sur le papier. Dans un autre registre temporel, les études des vibrations du marcheur d’Olafur Eliasson font directement référence aux chronophotographies de Marey et Muybridge. Les marcheurs qui
cheminent sont aussi représentés par Léon Ferrari. Ces oeuvres où la ligne est la trace d’un parcours sont mis en relation et notre regard est propice à un déplacement comme si nous visiteurs
étions invités à tracer notre propre ligne entre les oeuvres.
Ce déplacement donne lieu à des tracés cartographiques dans une troisième section. Les artistes se sont intéressés à la carte comme dessin d’un territoire arpenté. La carte est le lieu
d’inscription de cheminements à la fois vécus, observés et projetés. Al Taylor s’est vu observateur des parcours. Till Roeskens a réalisé une vidéocartographie : Comme un anthropologue, il a
demandé aux habitants du camp de Bethléem d’esquisser des cartes de ce qui les entoure. La vidéo présente des cartes en train de se faire. L’artiste Shusaku Arakawa pour le projet d’étude pour le
rideau de l’opera Bastille a fait coexister deux tracés d’espaces qui se combinent.
De la cartographie vient la mesure de l’espace. La ligne peut être aussi celle du corps qui mesure l’espace. Plusieurs artistes envisagent l’espace dans un rapport à un nouvel étalon de mesure.
L’oeuvre minimale de Robert Mangold explore la mesure de l’espace comme celui de la feuille de papier. Cet espace cadré dessiné est aussi celui sur lequel Bruce Nauman décide de marcher. Le corps
expérimente le tracé au sol par son déplacement. C’est d’ailleurs ce corps comme mesure de l’espace qu’expérimente aussi par la marche les artistes Hamish Fulton et Richard Long lorsqu’ils font
l’expérience de grandes marches dans le territoire.
Du grand paysage arpenté par les artistes, on peut d’ailleurs découvrir des lignes fantômes. Le paysage dessine des lignes. Les artistes qui oeuvrent dans l’espace naturel et font référence au
paysage dans des oeuvres plus ou moins abstraites rendent compte des ces lignes imaginaires qu’il faut observer. La sculpture de Toni Grand est comme une ligne du paysage retirée de son contexte.
Jan Dibbets par son assemblage de photographies crée une ligne. Dans un autre registre, Vera Molnar et John Cage interprètent le paysage par la ligne épurée. Ainsi le paysage devient source d’une
écriture graphique chez les artistes.
L’écriture est en fait toute entière constituée de lignes, de pleins et de déliés. Les artistes comme Pierrette Bloch, Bruce Marden, Henri Michaux explorent le mouvement de la ligne écriture.
Finalement, la dernière section de l’exposition intitulée Les
lignes de vie remettent en valeur le corps comme porteur de lignes. Les photographies en gros plan de Coplans sont des mises en évidence des lignes de la peau. Le grand dessin de Guiseppe
Penone fait aussi référence au corps qui fait empreinte et donc révèle ses lignes. Le corps devient ici le sujet de lignes dessinées. (photo ci-contre)
Les sept sections de l’exposition invitent donc à penser la ligne dans un rapport au corps, ce corps qui mesure l’espace et fait trace dans le paysage. C’est ce corps qui écrit et révèle
l’espace. Les oeuvres graphiques souvent noir et blanc font de l’espace de la feuille de papier l’espace paysager où se déplace le corps. Cette exposition parait être une vision anthropologique
sur la ligne vue par les artistes. Nous nous déplacons dans un espace de lignes, dans un paysage où l’artiste se fait mesureur, arpenteur et ligne de mesure. Elle nous invite à méditer sur notre
rapport au monde, à l’espace mais sur notre volonté de vouloir mémoriser un parcours.
L’exposition « une brève histoire de lignes » est à voir absolument jusqu’au 1 avril