Robin Godde dialogue avec ses matériaux et observe leurs mouvements naturels. La rencontre avec un lieu est le point de départ de ses œuvres. Sa démarche s’inscrit dans un courant d’artistes qui prennent en compte l’environnement qu’il soit urbain ou naturel, pour créer des œuvres invitant à un parcours et à contempler le paysage. Nourri par la culture de l’espace au Japon, celle d’une esthétique du quotidien, de l’aménagement de l’habitat, il accroît son attention au monde et dans son atelier. L’artiste s’intéresse aux matériaux tels que le fer à béton, le bois, le bambou, l’acier, et à leur transformation au fil du temps en observant leur adaptabilité.
Ses installations Parenthèses[1] ou Templum[2] captent la lumière et reflètent l’environnement. Telles des indices, elles incarnent un ancrage au sol et une direction vers le ciel : métaphore de la croissance d’une plante, de sa germination jusqu’à l’élévation de sa tige et sa floraison.
L’artiste explore les espaces intérieurs et extérieurs et songe au déplacement du corps parmi ses œuvres. Celles-ci dessinent des lignes qui se propagent, comme dans son installation Sensible rigidité, à la Halle verrière de Meisenthal (57), où il expérimente, tel un chorégraphe, les propriétés des fers à béton, qui prennent alors de grandes courbures. Une impression de mouvement en émane. Son installation rejoint le domaine de la danse, du spectacle et nous incite à une déambulation.
Robin Godde détourne également les machines et expérimente les qualités des matériaux, à contrario de leurs usages habituels. Il sélectionne ceux qui sont parfois peu utilisés, mis de côté et s’attache à garder les défauts des éléments qu’il préserve alors lors de ses collaborations avec des entreprises locales situées à proximité des lieux de création. De fait, son processus de création lui permet un travail artistique le plus contextuel possible, réduisant le plus possible les impacts carbon. Il conserve chaque partie de ses sculptures qu’elle soit usée ou cassée et travaille avec respect les matériaux.
Ses œuvres à la fois délicates et de grandes échelles créent de grands dessins dans l’espace, nous donnant des directions de regard. À Lyon, son installation Fleuves impassibles en lattes de pin convoquait des rapports d’équilibre et de pesanteur. Robin Godde crée des dialogues entre un ensemble d’éléments qu’il tente de comprendre au fur et à mesure. Elles dessinent des lignes courbes, élancées qui s’ancrent dans des lieux de nature maîtrisée, témoignant à la fois d’une légèreté et d’une force de gravité
Sa pratique artistique est par nature écologique et transmet le passage du temps. L’artiste accepte chaque petit dérèglement et fait des pas de côté en décalant parfois ses habitudes de travail. Il ne cherche pas à tout maîtriser et laisse venir les choses. Il observe alors les sens que prennent ses matériaux et prend soin de préserver l’expression de la forme elle-même. Son œuvre tient alors du processus de sélection jusqu’à la transformation et au-delà, une possible disparition de matières.
Ses baromètres, sculptures en bois interagissent avec les conditions climatiques. Les éléments s’altèrent et prennent une autre allure. La nature révèle sa force sur les sculptures et l’artiste laisse vivre ses œuvres en étant attentif aux postures qu’elles prennent en fonction de la météo et de la durée de leur exposition en extérieur. Elles apparaissent comme des grands corps étirés. Dans le jardin du Muséum-Aquarium de Nancy, les œuvres très hautes, filaires scandent une allée. En marchant, nous perçons leurs allures et légères courbures. Dans le jardin de la galerie-associative 379, elles suggèrent des herbes géantes, qui par la proprioception, se dressent, bougent selon les mouvements du vent. Ses sculptures pourront ensuite voyager, s’adapter et vivre différemment dans un autre contexte.
L’artiste travaille avec patience en écoutant ce que les bois de ses œuvres ont à lui raconter et observe ensuite le spectacle de leur métamorphose durant leur installation. Ses sculptures s’adaptent aux aléas du temps et des espaces dans lesquelles elles vivent et évoluent. Ses œuvres accumulent alors en elles des moments de travail et incarnent une histoire, celle d’un déplacement et des transformations physiques.
Ainsi, Robin Godde écarte le caractère fini de l’œuvre d’art pour privilégier le travail du temps. Ses installations qu’elles soient éphémères ou pérennes ont en elles des variations causées par des phénomènes naturels, auxquels elles réagissent, en fléchissant. Bien souvent inclinées, elles captent notre regard nous amenant à voir au loin et à prêter attention à ce qui nous entoure. Ses œuvres in situ nous conduisent également à ressentir notre corps au cœur d’un vaste paysage ou à nous déplacer pour faire le tour d’un jardin.
Pauline Lisowski
[1] Exposition internationale de sculptures, sculptures by the sea, Bondy Beach, Australie, 2018.
[2] Œuvre inscrite dans le parcours Art dans Nancy, commandé par la Direction des parcs et jardins pour la labélisation d’arbres remarquables dans le Jardin Dominique Alexandre Godron, Nancy, 2014.