Dans ses œuvres collectives, Thierry Boutonnier déploie une réflexion sur la notion de domestication (homo domesticus – J. C. Scott), processus anthropocentrique d’où le mode de vie de quelques humains s’est imposé à des collectif d’humains et de non-humains bien plus complexe. L’artiste puise dans les méthodologies et les outils des sciences de l’écologie. Il développe une démarche artistique où en filigrane se joue un « partage de la signature »[1] entre humains et non-humains. Ses œuvres ne sont pas le fruit de l’artiste seul mais d’une co-construction avec différents êtres vivants. Il interroge les concepts de sculpture et de plastique sociale, dans la filiation de la démarche de Joseph Beuys. Sa pratique se constitue sur la base d’une interaction entre l’enquête des qualités environnementales et sociologiques, d’un scénario, des hypothèses et un projet expérimental. Pour l’artiste, maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage pourraient tendre vers une coopération par une maîtrise d’usage.
Ses œuvres in situ épousent le paysage pour des territoires vacants, lieux dont l’usage n’est pas précis, qui permettent l’expérimentation pour produire d’autres formes. Telles des actions, celles-ci nous relient au maillage du vivant et composent des écosystèmes. Dans cette pensée écologique à l’œuvre, pour reprendre les termes de Timothy Morton[2], ses créations, plantations, ont pour vocation de transformer au fur et à mesure notre rapport à la terre. Le réemploi, l’économie circulaire sont en jeu dans ses travaux entre œuvre d’art et arboriculture. Pour l’artiste, l’espace public est une œuvre dont nous sommes responsables. Thierry Boutonnier rend possible une nouvelle place des arbres et des habitants dans les processus de fabrication des espaces urbains. Depuis plus de 10 ans, il développe des pépinières urbaines dans le cadre de chantiers, d’urbanisme transitoire.
Thierry Boutonnier propose des projets invitant des habitants à renégocier le foncier en cultivant et en plantant des arbres. Les arbres alors deviennent des diplomates durant les conflits homme / nature.
Avec Prenez Racines !, première pépinière urbaine, il œuvre avec un soin particulier à la transmission des savoir-faire arboricoles. Les habitants d’un quartier ont parrainé des arbres de culture. Leurs formes reflètent la qualité de la relation à l’être vivant non-humain. En faisant l’expérience de l’œuvre, les résidents se sont réapproprié leur espace de vie public.
À Lyon, son œuvre Eau de rose est adoptée par les habitants de différents quartiers qui continuent le cycle de culture, prennent soin des rosiers, récoltent des fleurs en vue d’ateliers de distillation tels des rituels et rendez-vous printaniers.
Dans ses travaux, des relations et attachements entre les humains et les non-humains sont en germe. Au fil des années, chacun de ses travaux offre à ceux qui y participent l’opportunité d’acquérir une force d’agir.
Appel d’air pour le Chantier du Grand Paris Express implique le partage, l’apprentissage et la volonté d’améliorer l’air de Paris tout en gardant la trace du souffle de ses habitants. Ces 68 êtres furent parrainés et sont cultivés par des individus qui collaborent aux plantations dans des pépinières urbaines comme celle de « Vive les Groues ! » à Nanterre. Sur chaque parvis de chacune de gares, ces Paulownias deviennent des « arbres témoins ».
Ses œuvres situées provoquent des rencontres avec l’altérité, l’animal et le végétal. Plusieurs dynamiques de durées s’entremêlent dans ses travaux en cours.
Dans ses expériences de terrain et souvent dans le cadre de chantiers, Thierry Boutonnier développe également un goût pour les mots, une poésie afin de susciter un désir de créer ensemble avec la terre.
Créer avec le vivant implique des changements dans nos manières d’organiser les expositions, la scénographie et la médiation. Le processus de vie est dévoilé dans ses actions de plantations sur divers terrains.
Au musée de la Chasse et de la Nature à Paris[3], Le chemin de maïs réalisé dans les Ardennes avec des agriculteurs, fut re-présenté avec une photographie co-produite avec le photographe Sylvain Gouraud, le dessin du chemin au fusain comme une trace ponctuée de témoignages gravé sur des plaques en laiton (des propos à l’adresse de quelqu’un) et une vidéo qui présentait la démarche. Thierry Boutonnier nous aide à prendre conscience d’un changement des pratiques agricoles et leurs influences dans le paysage.
Dans la poursuite de ses expériences avec le vivant, il laisse visibles les techniques et la technologie de ses artéfacts, notamment lors d’expositions[4], afin de montrer le travail nécessaire pour soigner le vivant soumis à un régime de regard extractiviste et réducteur qui rompt les liens pour soi-disant le rendre intelligible. Même si ses œuvres engendrent des choses comme dans les pépinières, elles ne visent pas à produire du rendement, et nous invitent plutôt à une culture généreuse sous-optimale pleine de tentatives, en écho à l’histoire même de la plante prélevée en milieu urbain comme pour « Recherche forêt »[5].
Lors d’expositions, l’artiste compose des fragments d’écosystème qui induisent des hors-champs avec des dessins, photographies, sculptures végétales in situ et temps de paroles sur place. Ses œuvres d’art arboricoles modifient nos habitudes d’expériences esthétiques pour une relation sensible, complexe et en conscience avec l’étendue de notre ignorance du vivant.
Prendre son temps, pour l’artiste, est facteur d’enracinement pour s’élever dans un équilibre dynamique précaire. Il laisse la place à l’aléa, à l’improvisation et privilégie la co-construction ainsi que la co-organisation pour permettre l’amélioration des milieux de vie. Les rencontres s’autofécondent dans différents terrains et deviennent des semences. Commencent alors les germes de nouveaux modes de vie.
L’artiste poursuit sa quête d’offrir aux citoyens des possibilités de comprendre nos sols et d’appréhender les transformations du paysage urbain en laissant la place à l’animal et au végétal. Thierry Boutonnier propose des projets sur divers terrains urbains et ruraux qui mettent en évidence des actions tendres où les éléments sont à peu près solides. Ses créations collaboratives dans le temps long tendent à défendre la capacité de l’art à transformer notre relation au monde.
Ainsi, sa démarche artistique nous propose de sentir les formes à la fois dedans et dehors, dans un continuum du vivant. Elle interroge la pérennité de l’œuvre d’art avec le changement des écosystèmes où l’humanité se laisse désirer.
Pauline Lisowski
Le 2 mars 2021
[1] Expression de Gilles Clément.
[2] Timothy Morton, La pensée écologique, Zulma Essais, Février 2019.
[3] Exposition « Animer le paysage », Musée de la Chasse et de la Nature, Paris, 2017.
[4] Comme pour l’exposition « Courants verts », fondation EDF Electra, Paris, 2020-2021.
[5] Comme pour l’exposition « Courants verts », fondation EDF Electra, Paris, 2020-2021.